♥♥♥ En 1991, Jean-Luc Lagarce signait une mise en scène audacieuse et mémorable de « La Cantatrice Chauve », devenue depuis un classique du genre. 27 ans plus tard, pour rendre hommage à ce metteur en scène disparu prématurément – emporté par le SIDA à seulement 38 ans en 1995 – le théâtre Athénée Louis Jouvet reprend pour la dernière fois ce spectacle avec – joli clin d’œil – les acteurs de l’époque. Lire la suite
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EN ATTENDANT GODOT – THÉÂTRE de L’AQUARIUM
Paris, 1927. En sortant de la Closerie des Lilas, Samuel Beckett, 21 ans, croise le chemin d’un clochard qui, sans raison, le poignarde. Beckett est transporté à l’hôpital Tenon, il a la plèvre transpercée. Guéri, il tient à revoir son agresseur qui a été arrêté. Il lui demande « Pourquoi m’avez-vous poignardé ? » Le clochard cherche une réponse puis finit par dire : « Je ne sais pas, monsieur ». Ce fait divers, qui marqua profondément le jeune Beckett, a peut-être été à l’origine d’En attendant Godot.
La pièce, écrite en français, considérée comme l’une des œuvres les plus importantes du XXe siècle, questionne la souffrance et la vacuité de la condition humaine. L’histoire est celle de deux vagabonds, Vladimir et Estragon, qui, perdus sur un chemin de poussière au milieu d’un no man’s land, attendent un certain Godot qui leur a donné rendez-vous. Mais Godot se fait attendre. Alors pour tromper l’ennui, les deux compagnons se parlent, s’écoutent, se chamaillent, se réconcilient…Leur attente est soudain interrompue par l’arrivée de deux personnages : Pozzo, propriétaire terrien, sorte d’esclavagiste moderne, tenant en laisse un pauvre hère, Lucky, réduit à l’état d’animal servile. Une fois cette parenthèse « d’humanité » fermée où seule la domination et l’asservissement semblent prendre le dessus, les jours et les nuits se succèdent aux autres, toujours aussi vains et inutiles pour Vladimir et Estragon dans l’attente de Godot qui ne viendra jamais.
Depuis sa création en 1952, En attendant Godot est l’une des pièces les plus jouées au monde, adulée par des générations de metteurs en scène et de comédiens. Et cela s’explique ô combien : l’œuvre résonne formidablement par le caractère intemporel, universel et profondément visionnaire des thèmes fondamentaux qu’elle explore: l’identité, le courage, l’espoir, l’impuissance, la force et la fragilité de l’être humain, le sens de l’existence (« Que faisons-nous ici ? » questionne un instant Vladimir face public). Longtemps considéré comme le chef d’oeuvre du théâtre de l’absurde, « En attendant Godot n’a rien d’absurde, si ce n’est l’absurde du monde à l’intérieur on cherche à créer du sens » comment le rappellent collectivement Jean Lambert-wild, Marcel Bozonnet et Lorenzo Malaguerra qui ont signé une nouvelle adaptation théâtrale à la Comédie de Caen – Centre Dramatique National de Normandie en 2014. Après avoir été présenté sur de nombreuses scènes françaises, le spectacle est à l’affiche du théâtre de l’Aquarium ce mois-ci. Les trois metteurs en scène ont souhaité revisiter le « mythe Godot » en faisant entendre le texte de Beckett sous un jour nouveau, à la lumière de la réalité politique et sociale de notre époque. Ainsi, les rôles de Vladimir et d’Estragon ont été confiés à deux comédiens africains, symbolisant par-là même les dizaines de miliers d’apatrides, de migrants fuyant les famines, les guerres, les souffrances, sur la voie de l’exil, en quête d’une nouvelle vie ou d’un nouvel espoir. Très belle idée d’autant que face à eux, le duo Pozzo/Lucky résonne comme le symbole de la vacuité et de l’inutilité de nos sociétés occidentales, incapables de donner une réponse ou une solution aux souffrances de notre monde actuel.
Au-delà de ce parti-pris fort et intéressant, le spectacle est d’une grande beauté et d’une grande singularité. Avant même « d’entrer » dans la pièce, on est d’emblée séduit par le charme aride du décor – horizon nu gris-bleuté, chemin de gravier, petit arbre sec – qui illustre bien l’écriture dépouillée de Beckett et sera tout au long du spectacle fort bien mis en lumière (les éclairages nocturnes projetant les reflets des personnages sur le sol sont à ce titre particulièrement réussis). Le texte est porté par un casting de haut vol, à commencer par le duo Michel Bohiri (Vladimir) et Fargass Assandé (Estragon) deux acteurs ivoiriens qui incarnent avec une justesse, une humanité et une générosité formidables, les deux compagnons d’infortune de Beckett entre tendresse et gaucherie, profondeur et drôlerie. Leur complicité, réelle à la ville comme à la scène, « transpire » et apporte un vrai supplément d’âme au spectacle. Notons également la prestation magistrale de Marcel Bozonnet (ancien sociétaire et administrateur de la Comédie Française) qui, tel un bateleur de foire, empruntant à l’univers du cirque et du music-hall, incarne un Pozzo inquiétant et pathétique. Enfin, sans oublier Lyn Thibault très juste également dans le rôle du garçon, Jean Lambert-wild, pyjama rayé, grimé de blanc, nez rouge, chevelure blonde hirsute, délivre le monologue réputé injouable de Lucky (texte de deux pages sans ponctuation) avec un engagement total. Au final, malgré un spectacle un peu long (2h05), du grand et beau théâtre qui marque les esprits et laisse des images en mémoire ! Une adaptation qui fera date. Longue vie au spectacle qui poursuit sa route à Neufchâtel après Paris.
Le point de vue d’Elisabeth
Théâtre de l’Aquarium – La Cartoucherie 94100 Vincennes
Jusqu’au 29 mars 2015
Du mardi au samedi à 20h30, le dimanche à 16h
Navette gratuite aller-retour au départ du métro Château de Vincennes à partir de 19h30
Crédit photos : Tristan Jeanne-Valès
LE ROI SE MEURT – THÉÂTRE HEBERTOT
Foule des grands soirs au théâtre Hébertot samedi 10 mai pour la dernière du « Roi se meurt ». L’occasion ou jamais de voir Michel Bouquet se glisser dans ce rôle mythique qui lui avait valu le Molière du meilleur comédien en 2005. Acteur légendaire pour pièce légendaire donc ! Et le public ne s’y est pas trompé en accueillant les comédiens par des applaudissements très nourris dès leur entrée en scène.
Le roi Béranger 1er, vieux souverain d’un royaume imaginaire en proie au chaos et à l’agonie, apprend qu’il est malade et qu’il va bientôt mourir. Entouré d’une cour bigarrée (ses deux premières épouses, son médecin, son garde et sa femme de chambre), le vieux roi, manteau pourpre, couronne de pacotille et sceptre en main, veut pourtant s’accrocher au pouvoir et à la vie. Ainsi commencera son long cheminement – refus, révolte puis résignation – avant l’inexorable issue. Dans « Le roi se meurt », Eugène Ionesco questionne l’angoisse de chacun d’entre nous face à la mort et explore l’absurdité de la vie et le tragi-comique de la condition humaine. « J’ai toujours été obsédé par la mort. La mort, c’est la condition inadmissible de l’existence », confiait Ionesco qui avait d’ailleurs échappé de peu à la mort en 1962, peu avant l’écriture de la pièce. Une manière peut-être d’exorciser ses angoisses, « d’apprivoiser la mort », comme le souligne Michel Bouquet.
Quelle belle soirée théâtre dans tous les cas ! Le texte est superbe et l’interprétation, faut-il même le souligner, remarquable. Michel Bouquet, 88 ans, offre une prestation de bout en bout exceptionnelle dans cette pièce qu’il juge au passage « très dure à cause du chahut des sensations différentes par lesquelles l’acteur est obligé de passer, du plus comique au tragique pur ». Mention spéciale également à la comédienne Juliette Carré qui, dans la peau de la perfide reine Marguerite, parvient presque à voler la vedette à son Michel Bouquet de mari. Notons également le grand soin apporté aux costumes et au travail des découpes lumineuses qui illustrent avec beaucoup de pertinence les temps forts de la pièce. La baisse progressive de la lumière sur le visage du vieux roi jusqu’à l’obscurité totale pendant les 30 dernières secondes du spectacle est à ce titre une pure merveille. Plus besoin de texte, tout est dit par le seul jeu des lumières pour symboliser le passage vers l’au-delà.
Une émotion particulière traversa la salle au moment des saluts. Michel Bouquet, petit pas, yeux à moitié clos par la lumière puissante des projecteurs et sourire formidable aux lèvres venait dire adieu à un rôle de légende.
Le point de vue d’Elisabeth
THEATRE HEBERTOT • 78 bis boulevard des Batignolles 75017 Paris
DERNIERE MINUTE : NOUVELLES REPRESENTATIONS AU THEATRE HEBERTOT jusqu’au 25 octobre 2014
Crédit photo ©Laurencine Lot