♥♥ La Compagnie Alcandre présente au Théâtre Douze, dans une mise en scène de Guillaume Dollinger, le chef d’œuvre d’Albert Camus Caligula dont le rôle titre a été créé par Gérard Philipe sur la scène du théâtre Hébertot. Lire la suite
Archives de Tag: la compagnie Alcandre
PAS UN KOPECK – THÉÂTRE DOUZE
De Tchekhov, je confesse humblement que je ne connaissais que les pièces cultes, Les Trois Sœurs, La Mouette, La Cerisaie…terrain de jeux de tous les metteurs en scène français depuis la fin des années 50. Mais Anton Tchekhov s’est commis également dans de courtes comédies, largement moins connues, dont le but était le simple divertissement ! Trois d’entre elles, La demande en mariage, Les méfaits du tabac et l’Ours, sont actuellement à l’affiche du Théâtre Douze, proposées et mises en scène par la compagnie Alcandre, que j’avais eu l’occasion de mieux connaître à l’occasion d’ UN CAFE AVEC son directeur Serge Bourhis en juin dernier. Bien installée dans la très jolie salle du théâtre Douze, je plonge avec plaisir dans la première pièce, La demande en mariage, dont l’intrigue est on ne peut plus simple : Lomov vient demander une jeune fille en mariage, Natalia Stepanovna. Il est reçu par le père, Stepan Stepanovitch, qui marque son enthousiasme, et va chercher sa fille. La question de l’appartenance du pré aux vaches fait dégénérer cette demande en mariage. Mais Natalia défaille quand elle apprend que le voisin était venu demander sa main. L’éconduit revient, elle souhaite présenter ses excuses mais se dispute à nouveau à propos du prix d’un chien de chasse. Le prétendant s’évanouit. On le croit mort. Ils se marieront… en se disputant. Les trois comédiens, à commencer par Vincent Remoissenet (déjà vu dans Molieratus et Racine par la racine) s’en donnent à cœur joie, n’hésitant pas à grossir le trait à la limite de caricature, mais toujours avec justesse et générosité.
Dans la scène monologue Les méfaits du tabac, le comédien Sylvain Porcher prête ses traits au personnage de Nioukhine, la cinquantaine, qui doit faire une conférence à la demande de sa femme sur les méfaits du tabac dans un cercle de province. On comprend rapidement que le pauvre homme est littéralement tyrannisé par sa femme et qu’il profite de cet espace de liberté pour se lamenter sur son sort. Soyons sincère, le texte est mineur dans l’œuvre de Tchekhov et n’offre pas d’intérêt particulier. Mais Sylvain Porcher, formidable comédien, tantôt goguenard, roublard, ou complice, offre toute l’étendue de son talent à servir ce texte, et nous fait passer un moment savoureux. Bravo à lui. Puis vient L’Ours, farce en 1 acte qui met en scène Elena Popova, une jeune veuve qui s’est retirée du monde depuis la mort de son mari, Grigori Smirnov, un propriétaire terrien et Louka, le vieux valet d’Elena. Smirnov, homme brutal et grossier vient réclamer le paiement de la dette contractée par le défunt mari d’Elena. S’ensuit une violente joute verbale entre les deux protagonistes qui n’aura d’issue que le meurtre …ou l’amour ! Encore une fois Sylvain Porcher est extrêmement convaincant dans ce rôle d’homme grossier, volcanique, brutal, prêt à tout et soudain fragilisé et ému par la découverte d’un sentiment amoureux insoupconné…
Au final, un spectacle fort réussi, bien rythmé et solidement interprété ! Allez applaudir ce beau trio d’acteurs dans un répertoire « tchekhovien » pour le moins inattendu. Car ici point d’envolées lyriques, de silences nourris, illustrant l’âme slave et la richesse intérieure de personnages en proie aux affres tourments de destinées tragiques. On se divertit seulement à voir ces personnages, profondément humains, se débattre dans des situations cocasses ou absurdes. Le spectacle est à l’affiche jusqu’au 30 novembre dans la très belle et confortable salle du théâtre Douze. Courez-y !
Le point de vue d’Elisabeth
Théâtre Douze • 6 rue Maurice Ravel, 75012 Paris
Du mardi au samedi à 20h30 et le dimanche à 15h30
Jusqu’au 30 novembre 2014
A partir de 10 ans
En savoir plus : La compagnie Alcandre
Crédits photo : La compagnie Alcandre
UN CAFÉ AVEC Serge Bourhis, auteur, metteur en scène, directeur de la compagnie Alcandre
Un heureux hasard m’a fait croiser Serge Bourhis un soir de mai à l’Essaïon Théâtre. Serge Bourhis dirige la compagnie ALCANDRE depuis 2008 et remporte actuellement un beau succès à Paris avec deux pièces qu’il a écrites et mises en scène Racine par la racine et Molieratus. Une proposition d’interview et quelques mails plus tard, la rencontre a lieu dans un café des Batignolles par une belle matinée ensoleillée. Radio Nova en fond sonore, quelques habitués attablés et la conversation s’engage autour d’un café et d’un cappuccino maison.
Coup de théâtre · Bonjour Serge, comment est née la compagnie Alcandre ? Quelle est sa « mission » artistique aujourd’hui ?
La compagnie est née en 2008 d’une rencontre avec des comédiens que j’avais engagés pour monter l’une de mes premières pièces qui s’intitulait Et on créa la femme et qui s’était jouée à Paris et au festival off d’Avignon 2009. Au départ, je n’avais pas de ligne artistique préconçue pour la compagnie. Les choses se sont faites au fur et à mesure, même si j’ai toujours été passionné par la direction d’acteurs et très attaché au théâtre écrit par et pour des comédiens. Aujourd’hui, artistiquement, nous défendons un théâtre de texte à destination d’un large public.
Comment définiriez-vous votre compagnie : un clan, une famille, une association ?
Le terme de famille me paraît le mieux convenir. Comme dans toute famille, les liens entre les membres peuvent parfois être passionnels. Monter plusieurs projets ensemble et vivre plusieurs Avignon (ce sera notre 4ème cette année) n’est pas une mince affaire. Une troupe de théâtre est une association de personnes autour d’un ou plusieurs projets. Nous vivons ensemble des moments très exaltants mais le métier de comédien a ceci de particulier qu’il touche à l’intime et les désaccords professionnels sonnent aussi parfois comme des remises en question de l’individu. Idéalement, je préfère travailler dans la durée avec des comédiens mais ce n’est pas toujours possible. Les nouveaux venus apportent aussi du sang neuf et régénérant pour le groupe.
Qu’est ce que vous aimez dans l’idée d’une troupe ?
J’aime l’idée que le groupe prime sur l’individu, qu’on dépasse les égos pour travailler pour un intérêt collectif. Même si j’écris les textes et que je mets en scène, le travail se fait beaucoup en commun, pendant les répétitions ; on trouve des idées ensemble et j’adore quand les comédiens proposent des choses. On vit des émotions ensemble qui sont très fortes. Je suis sensible aux valeurs de solidarité au sein de la troupe, de respect de ses partenaires, de sens du bien commun.
Comment choisissez-vous vos comédiens ?
Généralement, je passe une annonce sur un site spécialisé et j’auditionne les comédiens dont le profil me paraît correspondre à la personne que je recherche. Je rencontre alors une première fois le comédien ou la comédienne et si la rencontre se passe bien, j’organise une rencontre avec le reste de la troupe et une séance de travail. Mais recruter un comédien relève du pari. On se trompe parfois grossièrement et dans ce cas, il faut vite réparer l’erreur. Disons qu’avec le temps et l’expérience, on apprend à avoir plus de discernement, même si on n’est jamais assuré de rien.
Vous êtes auteur et metteur en scène. Comment nait une pièce chez vous ? Quelles sont les grandes étapes de création et d’élaboration d’un spectacle ?
Pour un auteur dramatique, c’est évidemment une chance que de pouvoir mettre en scène ses propres textes.Le processus de création est différent selon les spectacles. Pour certaines pièces, je pense d’abord à des comédiens ou à des personnages de romans, comme le personnage de Lilith dans la nouvelle de Primo Levi qui m’a inspiré pour Et on créa la femme. Pour Racine par la racine, l’idée est venue d’un spectacle anglais que j’avais vu à Avignon en 2004 qui s’appelait Shakespeare le défi, une comédie un peu loufoque, très drôle avec 3 comédiens qui jouaient tout Shakespeare en 80 minutes. J’avais envie de travailler sur Racine et j’ai pensé qu’il serait intéressant de l’aborder sous un angle inhabituel. J’ai écrit une première version de la pièce en 3 semaines ; on l’a travaillée pendant 3 à 4 mois. La création du spectacle devient alors un laboratoire pour la gestation du texte. J’écris généralement un premier état du texte qui subit de très nombreuses métamorphoses au fil des répétitions. Certaines répliques écrites ne deviendront jamais audibles sur un plateau. Le travail consiste donc souvent à amputer, à renoncer, à rogner…comme dans tout travail d’écriture. Au fil du temps, le texte des pièces subit parfois de très profondes modifications. Ca a été particulièrement vrai pour le spectacle sur Racine.
Vous destinez de nombreuses pièces à un jeune public. Pourquoi vouloir précisément s’adresser aux jeunes ? Quelles actions mettez-vous en place pour les sensibiliser ?
Quand j’ai écrit « Racine par la racine » en 2009, je ne l’ai pas conçu à l’origine comme un spectacle pour la jeunesse. Ce n’est qu’au bout de quelques représentations que des spectateurs m’ont dit qu’il serait formidable de le jouer devant des lycéens. Peu à peu, nous avons donc commencé à le jouer dans de nombreux établissements scolaires de Paris, de banlieue et même de province. Le spectacle suivant, Je veux de l’amour et du hasard a été, lui, conçu et monté pour être joué dans des lycées. Quant à Molieratus, il s’agit d’une commande du théâtre Gérard Philippe de Meaux où notre compagnie a été en résidence en début 2013. Nous avons pour habitude, lorsque nous jouons devant des publics de scolaires, de faire suivre le spectacle d’un débat avec la troupe. Ca me paraît important pour le théâtre aujourd’hui de ne pas se couper du public des adolescents, faute de quoi il deviendra un loisir de personnes d’âge mûr. Rien de plus triste que d’aller assister à des spectacles dans des théâtres qui ressemblent à des maisons de retraite bourgeoises. Les adolescents d’aujourd’hui sont le public de demain et le théâtre a tout à gagner à jouer devant un public de jeunes, à aller à la rencontre de publics variés.
A l’approche du Festival d’Avignon, quel rôle joue le OFF pour une compagnie comme la vôtre ?
Pour une « jeune » compagnie comme la nôtre, le festival off est à la fois un très coûteux investissement et une opportunité pour diffuser et vendre nos spectacles. Certaines compagnies se ruinent et « explosent » au festival, d’autres se soudent et grandissent. Il faut avoir une grande confiance dans les personnes avec qui on tente l’aventure (car c’en est une !) et bien se préparer physiquement et psychologiquement.Je pense que la première fois qu’on a fait Avignon, on n’avait pas complètement conscience des enjeux et des risques ! (rire) C’est vraiment le bouche à oreille qui donne la chance aux « petits » spectacles. Pour Racine l’an dernier, on a commencé à jouer et le bouche à oreille a fonctionné, comme en 2010. On a affiché complet dès la quatrième soir et on a ensuite refusé des spectateurs jusqu’à la fin du festival ! On y retourne cet été.
Comment souhaitez-vous faire évoluer la compagnie ? Quels sont vos projets ?
Il faut plusieurs années pour qu’une compagnie commence à devenir viable pour ses membres. La nôtre progresse chaque année, on travaille beaucoup, on franchit des caps ; il nous en reste encore beaucoup. Le problème est celui du financement des projets. En ce sens, nous aimerions pouvoir trouver des sources de financement pérennes qui nous permettront de travailler avec d’autres artistes : décorateurs, musiciens, créateurs lumière. Une autre question est celle de la recherche d’un lieu de travail. Concernant le travail artistique proprement dit, nous continuerons à créer des spectacles pour des publics adolescents et adultes, pourquoi pas pour enfants ? Et puis, j’ai commencé à écrire une comédie noire que j’aimerais monter la saison prochaine. J’ai aussi un projet ancien qui me tient à cœur depuis de nombreuses années. On nous réclame désormais un spectacle sur Corneille pour compléter la trilogie… et j’ai dans mes cartons informatiques des dizaines de maquettes de pièces dont certaines verront peut-être bientôt le jour…
Quel théâtre allez-vous voir aujourd’hui ? Quel spectateur êtes-vous ?
Je n’ai guère le temps ces temps-ci d’aller au théâtre et je suis un peu frustré de voir dans le théâtre contemporain le public se déplacer pour voir le travail d’un metteur en scène plus que pour découvrir des pièces ou pour voir des comédiens. Mais j’ai des metteurs en scène de prédilection comme Peter Brook qui est pour moi un modèle de grand et beau théâtre populaire ou Declan Donnellan. Il y a aussi des endroits que j’affectionne comme Les Bouffes du Nord. Je suis un spectateur très « difficile » mais en même temps très indulgent car je sais toute la difficulté de cet art si exigeant qu’est le théâtre. J’ai le souvenir d’un formidable spectacle à l’Odéon: l’illusion comique monté par Giorgio Strehler. Tout était magique : les comédiens, la lumière… Il y a un autre spectacle magnifique qui me revient en mémoire : 4.48 psychose, le texte de Sarah Kane monté par Claude Régy aux Bouffes du Nord avec Isabelle Huppert, seule en scène milieu plateau sans bouger pendant 2 heures. Un spectacle extatique !
Et pour conclure, le mot « théâtre » que vous préférez
Sous et sur le grill ! (rire)
Propos recueillis par Elisabeth Donetti
Site web : http://www.lacompagniealcandre.com
Actuellement à l’ESSAION THÉÂTRE :
Chaque mercredi à 20h jusqu’à fin juin 2014
Du mercredi au samedi du 3 au 19 juillet 2014 à 20h (11 représentations)
Et au festival Off d’Avignon 2014 du 4 au 25 juillet à l’Essaïon Avignon
Du jeudi au samedi à 20h jusqu’au 28 juin 2014
MOLIERATUS – ESSAÏON THÉÂTRE
Je ne sais pas vous mais à l’évocation des dernières heures de la vie de Molière, je pense à la scène d’ouverture du film inoubliable d’Ariane Mnouchkine, au panthéon de mes films cultes ! On y voit Philippe Caubert/Jean-Baptiste Poquelin incarnant un Argan, affaibli, visage ciré de blanc, s’égosillant clochette en main à répéter son texte dans sa loge avant ce qui sera sa toute dernière entrée sur scène. Ainsi démarre MOLIERATUS, la pièce écrite et mise en scène par Serge Bourhis de la compagnie Alcandre, actuellement à l’ESSAïON THEATRE. Nous sommes le 17 février 1673, dans les coulisses du Théâtre du Palais Royal, avant la 4ème représentation du Malade Imaginaire. Molière, 51 ans, très malade, se prépare à entrer en scène mais la troupe, inquiète, s’affaire autour de lui. Son état de santé lui permettra-t-il de jouer ? La troupe lui survivra-t-elle s’il arrivait malheur ? Et, pour l’heure, comme si la situation n’était déjà pas si préoccupante, Molière doit affronter des tourments plus personnels : la rivalité entre la comédienne Catherine de Brie et sa jeune épouse Armande Béjart (dont beaucoup ne cesseront de la considérer comme sa propre fille et donc d’accuser Molière d’inceste), l’infidélité d’Armande avec un jeune comédien de la troupe, la visite inopinée d’un créancier importun et de celle de Mademoiselle de Scudéry, qui inspira à Molière les précieuses ridicules.
Dès lors, la pièce alterne le récit de ses heures critiques avec les extraits des plus beaux textes de Molière, de Tartuffe au Misanthrope, de Dom Juan aux Fourberies de Scapin. Une élégante et astucieuse manière de faire découvrir ou redécouvrir le répertoire moliéresque en confondant habilement la vie de l’auteur avec celle de ses œuvres, comme le souligne Serge Bourhis : « Je suis parti des zones d’ombres de la vie personnelle de Molière pour créer un spectacle à la frontière de son œuvre et de sa vie ». Ainsi Moliératus répond fidèlement à la vocation pédagogique de la compagnie Alcandre : proposer un théâtre populaire de qualité, notamment à destination d’un jeune public.
Au final, ni complètement séduite, ni tout à fait déçue par MOLIERATUS. L’idée de départ est originale et les comédiens tous très convaincants mais j’ai été moins convaincue par une mise en scène à mon avis inégale, tantôt inspirée, inventive et rythmée (citons les jolies scènes du cauchemar des médecins corbeaux ou du spectre de Madeleine Béjart) tantôt un peu lente (scène de Dom Juan ou des ultimes moments de Molière sur scène vécues par la troupe depuis les coulisses), qui fait s’essouffler par moment l’ensemble.
Dans le même souci pédagogique, Serge Bouhris a signé un autre spectacle dédié aux grandes tragédies de Racine, joliment intitulé « Racine par la Racine ». On m’en a dit beaucoup de bien. Même troupe, même heure, même lieu, le rendez-vous est pris.
Le point de vue d’Elisabeth
ESSAÏON THÉÂTRE • 6 rue Pierre au lard, 75004 Paris
Jusqu’au 28 juin 2014 • Du jeudi au samedi à 20h
Découvir la compagnie ALCANDRE