AVIGNON 2022 – LA PRIAPÉE DES ÉCREVISSES – THÉÂTRE DU CHIEN QUI FUME

♥♥♥ Dans sa cuisine, Marguerite Steinheil s’exerce à son occupation favorite, la conception d’un plat sophistiqué « Les écrevisses à la Présidente ! » Toujours plus raffiné, toujours plus succulent, celui-ci maintient son entraînement à l’art de se remémorer dans la métaphore, tous ces moments délicieux où la vie de ses intimes fut à portée de perversité ! Que ce soit le président Félix Faure mort dans ses bras au cours d’une rencontre galante à l’Élysée en 1899, son propre mari ou sa mère, étrangement assassinés en 1908 alors qu’elle était retrouvée elle-même ligotée et bâillonnée par son valet de chambre… avant de devenir l’honorable et richissime Lady Robert Brooke Campbell Scarlett-Abinger, baronne et pairesse d’Angleterre.

Des spectateurs ont ri régulièrement pendant la représentation, totalement conquis par cette priapée d’écrevisses. Quant à moi, je n’ai pas vraiment apprécié ce plat : il manquait d’équilibre comme si ce texte avait été écrit pour mettre en avant uniquement le rôle principal. Le texte de Christian Siméon, au ton léger et au langage cru, donne la part belle à Marguerite Steinheil (Andréa Ferréol), laissant quasi silencieux le journaliste (Vincent Messager), supposé mener son interview, et octroyant à l’assistante de Mme Steinheil (Pauline Phelix) la surprenante liberté d’interpréter (fort joliment) trois chansons. À voir si on aime les grands numéros d’acteurs.

Le regard d’Isabelle

LA PRIAPÉE DES ÉCREVISSES

Théâtre le Chien qui fume
75, rue des Teinturiers – 84000 Avignon

QUATRE MINUTES – THÉÂTRE LA BRUYERE

afficheC’est l’histoire d’une rencontre entre deux femmes. Que rien ne devait réunir. Et que la musique sauvera. Allemagne, dans les années 80. Traude Krüger est une professeure de piano d’un certain âge, aux allures de vieille fille psychorigide et autoritaire, secrètement blessée par un passé qu’on devine douloureux. Elle dispense des cours de piano en prison, où elle rencontre Jenny Von Loeben, jeune taularde néo-punk de 20 ans écorchée vive, incontrôlable et accusée à tort du meurtre de son père qu’elle n’a pas commis. La professeure, d’abord réfractaire à éduquer musicalement la jeune femme, se prendra progressivement d’amitié pour cette rebelle, qui se révélera une musicienne surdouée. Elle donnera toute sa force et sa détermination à la préparer au concours des jeunes pianistes du Conservatoire. Une audition de quatre minutes qui pourra changer le cours de leurs vies. L’opportunité inespérée d’un nouveau départ ?

Deux femmes que tout oppose, deux parcours douloureux, deux résonnances à un passé inavouable. Mais une passion commune pour la musique qui leur permettra de s’affranchir du poids des secrets et de retrouver l’énergie de s’exprimer et la rage de vivre. Voilà en substance le sujet de la pièce Quatre Minutes, tirée du film allemand éponyme de Chris Kraus sorti sur les écrans français en 2008. 

Au-delà de la confrontation des deux femmes et du salut par la musique, et sans dévoiler plus avant l’intrigue, la pièce plonge également le spectateur au cœur de sujets plus lourds : régime nazi, homosexualité féminine, résistance face à la mort, au silence, à l’oubli… Comment surmonter le deuil ? Comment s’affranchir d’un passé encombrant ? Comment reconstruire sa vie ? La pièce y répond par un très beau message d’espoir. La mise en scène, signée Jean-Luc Revol, permet au spectateur de suivre la pièce comme un film, par le découpage très cinématographique des scènes et la variété des décors (coulissants… astucieux !), qui font «voyager» de l’établissement carcéral froid et austère, vers l’intérieur douillet de Madame Krüger en passant par les coulisses d’une grande salle de concert. Sur le plateau, aux côtés de comédiens expérimentés (Andréa Ferréol dans le rôle de Traude Krüger, Erick Deshors et Laurent Spielvogel incarnant respectivement un gardien de prison et le père adoptif de Jenny), la jeune comédienne Pauline Leprince dans le rôle de Jenny brûle littéralement les planches : assurément la révélation de la pièce ! Parfaitement juste dans la composition de son personnage, engagée physiquement à 100%, elle offre de belles prestations dans ses confrontations avec Andréa Ferréol – même si j’ai regretté son débit parfois un peu rapide -, aussi à l’aise dans les intentions de colère, de désespoir, d’espoir naissant ou de nostalgie. Assurément, du talent et de la générosité à revendre. Une comédienne à suivre. Au final, du bel ouvrage ! Dommage seulement que le titre de la pièce (et l’affiche) ne soit pas plus évocateur du thème central et des sujets pourtant nombreux de la pièce. A l’affiche jusqu’au 20 décembre.

Le point de vue d’Elisabeth

QUATRE MINUTES

Théâtre La Bruyère • 5 rue La Bruyère, 75009 Paris

Du mardi au samedi à 21h

Matinée samedi à 15h

Jusqu’au 20 décembre 2014