EN ATTENDANT GODOT – LA SCALA PARIS

♥♥♥♥ En fond de scène, une magnifique toile abstraite de Jacques Gabel nous plonge d’emblée dans un paysage crépusculaire qui pourrait être situé n’importe où. Seuls éléments de décor : un rocher et un arbre réduit à sa plus simple expression stylistique, à savoir un tronc fluet et quelques branches squelettiques (allusion à l’histoire du Christ et des larrons qui y furent suspendus ?)

Sur cette route (qu’on imagine sans fin et poussiéreuse), nous allons attendre un certain Godot en compagnie de Vladimir et d’Estragon (dit Gogo), compagnons de route depuis quarante ans, unis par les habitudes et les chamailleries comme un vieux couple. Comme on le sait, ce mystérieux Godot n’arrivera jamais. Et le temps de s’écouler. Et les deux compères d’espérer le lendemain pour recommencer à attendre indéfiniment.

Comme toujours dans le théâtre de Beckett, l’ennui est là, omniprésent, un ennui qu’on pourrait qualifier de métaphysique. La principale raison d’être des personnages consiste à essayer de tuer le temps. Même les dialogues ne semblent être là que pour combler leur vide existentiel. D’ailleurs, Estragon répète à l’envi : « Mais qu’est-ce qu’on fait maintenant ? »

UN DUO DE CLOCHARDS CÉLESTES

Quelle bonne idée a eu Alain Françon de choisir ces deux comédiens prodigieux que sont André Marcon et Gilles Privat pour donner chair à ces deux clochards célestes ! Ils leur apportent une touche d’humanité et de malicieuse complicité bienvenues. Ces deux-là sont les opposés sur tous les plans, incarnant les multiples facettes de la nature humaine : Vladimir (Gilles Privat ) est aussi grand et sautillant que Gogo (André Marcon) est petit, statique et bien ancré sur terre ; le premier est aussi jovial et optimiste que le second est foncièrement méfiant et mélancolique. Vous l’aurez compris, ce duo fonctionne à merveille, se livrant à des dialogues d’une absurdité telle qu’il en sourd une étrange cocasserie.

L’irruption du duo maître-esclave Pozzo-Lucky vient illustrer une autre réalité de l’humanité, plus cruelle : celle des rapports de force, que l’on retrouve également dans la pièce de Beckett Fin de partie, actuellement à l’affiche au Théâtre de l’Atelier. Là aussi, les deux comédiens (Guillaume Levêque et Éric Berger) font montre d’une belle subtilité dans leur interprétation. Et que dire du surprenant monologue d’Éric Berger (Lucky)… à couper le souffle ! Le cinquième interprète, Antoine Heuillet, en messager de Godot (malgré une courte apparition), n’est pas en reste. 

Bravo à Alain Françon pour sa mise en scène de haute précision – où le moindre geste ou détail sert ingénieusement le texte – et pour sa remarquable direction d’acteurs. Grâce à cette alchimie, il réussit ce qui était loin d’être évident : révéler toute la profondeur du texte de Beckett tout en nous faisant rire de l’absurdité de notre condition, nous autres pitoyables humains.

Le billet de Véronique

EN ATTENDANT GODOT
La Scala Paris
13, boulevard de Strasbourg – 75010 Paris

Jusqu’au 8 avril
Du mardi au samedi à 19 h et le dimanche à 15 h

Crédits photo : Jean-Louis Fernandez – Thomas O’Brien

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