
♥♥♥ C’est à une habile mise en abyme que nous invitent l’auteur Serge Valletti et son complice à la mise en scène Hovnatan Avédikian. Pièce dans la pièce, film dans le film, cauchemar ou songe éveillé… Baie des Anges est un mélange de tout cela, pas vraiment une histoire avec un début et une fin, mais plutôt des « fragments », comme nous le dit d’emblée le personnage principal, Gérard, metteur en scène.
Gérard a convoqué sur un plateau de théâtre une actrice et un acteur pour essayer de mettre en forme et en mots une histoire qui le hante, celle d’un ami qui s’est suicidé autrefois dans une belle villa du sud de la France. La première (Joséphine Garreau) est une débutante, une fille du Sud sensuelle (« et sans suite » ?) qui récite du Baudelaire, et l’autre, un acteur professionnel (Nicolas Rappo, parfait), un peu imbus de lui-même. Ces deux-là sont perdus dans ce récit qui n’a ni queue ni tête, et qui semble échapper à son auteur lui-même, tourmenté par ses fantômes personnels.
Dans une ambiance crépusculaire, digne d’un polar des années cinquante (ombres démesurées, décor déglingué…), nos trois personnages s’interrogent, se confrontent, reconstituant peu à peu les morceaux de cette étrange histoire à laquelle se mêlent des bribes de leur propre vécu. Dans le rôle du démiurge, David Ayala – que j’avais déjà apprécié dans Macbeth (The Notes), dans un registre proche– compose un Gérard charismatique, tour à tour truculent, angoissé et inquiétant. Son physique à la Orson Welles lui permet de s’imposer physiquement face à ses partenaires, et notamment à Nicolas Rappo, frêle, mais déterminé dans le rôle du jeune premier qui ne s’en laisse pas conter.
Pièce à la forme aussi hybride que son sujet, Baie des Anges nous embarque dans un tourbillon de suspense et d’émotions. Et peu importe si des zones d’ombre subsistent dans le récit, l’écriture enlevée de Valletti nous fait passer avec aisance du rire à la gravité. Et nous interroge (un peu à la manière de La Nuit américaine pour le cinéma) sur le processus mystérieux de la création théâtrale qui détourne la réalité pour en faire œuvre de fiction.
Le billet de Véronique
Théâtre du Rond-Point, 2 bis, avenue Franklin-Roosevelt, 75008 Paris (métro Champs-Elysées Clemenceau ou Franklin-Roosevelt)
Du mardi 15 juin au dimanche 4 juillet, à 20 h 30 – dimanche à 15 h 30
Crédits photo : Julien Benhamou


