
♥♥♥♥ « Ce n’est pas de ma faute si les âmes, dont on arrache les voiles et qu’on montre à nu, exhalent une si forte odeur de pourriture. »
Ce portrait de la bourgeoisie de la fin du XIXe siècle, vue à travers les yeux de Célestine, jeune bonne parisienne embauchée chez des notables de province, n’a rien perdu de sa charge féroce. Asservie, Célestine l’est doublement : par son travail, mais aussi par ses sens lorsqu’elle succombe à son désir pour les hommes (notamment pour l’infâme Joseph). Noirceur et humour se conjuguent dans le récit de cette femme au bas de l’échelle sociale.
Noirceur d’une société corrompue par l’argent, le vice ou la vanité, qui piétine les plus faibles. « La solitude, ce n’est pas de vivre seule, c’est de vivre chez les autres, chez des gens qui ne s’intéressent pas à vous, pour qui vous comptez moins qu’un chien ». Mais noirceur aussi de ces mêmes exploités qui deviennent exploiteurs à leur tour dès qu’ils le peuvent. Le portrait de Joseph, pour qui Célestine éprouve à la fois attraction et répulsion, en est un exemple effrayant : domestique lui aussi, il est par ailleurs voleur, violeur, criminel et profondément antisémite (nous sommes à l’époque de l’affaire Dreyfus).
DANS LES TRÉFONDS DE L’ÂME DE CÉLESTINE
Heureusement, l’humour vient alléger ce jeu de massacre. Un humour féroce qui dénonce l’hypocrisie de toute une société, se moque des conventions et renvoie dos à dos les riches et les pauvres. Nicolas Briançon s’empare du texte d’Octave Mirbeau pour révéler sa force drolatique et scandaleuse, servi par une Lisa Martino toute en sensualité. Le metteur en scène offre à son interprète un écrin intimiste et incandescent. Dès les premières minutes du spectacle, nous sommes plongés dans la pénombre de la chambre de Célestine, comme si nous étions dans les tréfonds de son âme.
Succédant à de prestigieuses interprètes au théâtre comme au cinéma (comment ne pas se rappeler Jeanne Moreau pour Buñuel !), la comédienne réussit à donner beaucoup d’humanité et d’intensité à son personnage, qui reflète la complexité de la nature humaine. Tour à tour gouailleuse, sensuelle, rouée, perverse, elle nous émeut tout autant qu’elle nous fascine. Peut-être parce que, au milieu de toutes ces turpitudes, émane du personnage de Célestine, victime de sa double condition de femme et de servante, une volonté de s’en sortir, un incroyable instinct de vie qui nous donne envie de croire en elle.
Courez voir ce spectacle magnifiquement interprété qui nous fait redécouvrir le texte vertigineux d’Octave Mirbeau.
Le billet de Véronique
LE JOURNAL D’UNE FEMME DE CHAMBRE
Théâtre de Poche – Montparnasse
75, bd du Montparnasse, 75006 Paris
Tous les lundis à 21 h, puis à partir du 25 avril : du mardi au samedi à 19 h
Crédits photo : Fabienne Rappeneau


