UN CAFÉ AVEC ÉLISABETH BOUCHAUD – PHYSICIENNE, COMÉDIENNE, AUTEURE, DIRECTRICE DU THÉÂTRE DE LA REINE BLANCHE (PARIS 18eme)

Elisabeth Bouchaud01/2016

Crédit photo : William Parra

« J’ai envie de défendre un théâtre exigeant mais ouvert au plus grand nombre. »

Ce 28 mai 2018, je rencontre Elisabeth Bouchaud, une «physicienne sur les planches» comme la surnomment souvent les médias. Physicienne française de premier plan, directrice de l’enseignement à l’École supérieure de physique et de chimie industrielles de la ville de Paris (ESPCI), membre du Commissariat à l’énergie atomique, honorée par plusieurs prix internationaux pour ses travaux sur « la mécanique de la rupture », Elisabeth Bouchaud cultive également la passion du théâtre depuis toujours. Cet après-midi-là, elle m’ouvre chaleureusement les portes de sa « maison », le théâtre de La Reine Blanche, situé dans une petite ruelle pavée du 18ème arrondissement, dont elle a repris la responsabilité en 2015. Un lieu unique à Paris, dédié aux arts et aux sciences. Rencontre.

Coup de théâtre : Bonjour Elisabeth, vous êtes une physicienne de renom et une comédienne/auteure/directrice de théâtre. Comment peut-on être scientifique et artiste ?

Elisabeth Bouchaud : C’est vrai qu’on associe généralement la rigueur à la science et la sensibilité et l’imagination aux arts mais ce n’est pas vrai, en fait, il n’y a pas de grand chercheur qui n’ait pas beaucoup d’imagination et il n’y a pas de grand artiste qui ne soit pas rigoureux. Je pense qu’on aime, en France, mettre les gens dans des cases mais la réalité est beaucoup plus complexe que cela. L’être humain est multiple, riche, on peut avoir deux passions. Je suis sûre que vous êtes multiple vous aussi !

Cherchez-vous à faire des passerelles entre vos deux activités ? En quoi ne nourrissent-elles ? En quoi sont-elles différentes ?      

E.B. : Elles sont différentes par nature mais elles se rejoignent par la créativité, je parle de l’activité de comédienne. Quel que soit le domaine, la science ou le théâtre, il faut mettre en œuvre les mêmes qualités, c’est-à-dire beaucoup d’imagination, une certaine sensibilité, une très grande rigueur et beaucoup de travail.

PUZZLE

PUZZLE adaptation du film PORTRAIT D UNE ENFANT DÉCHUE de Jerry Schatzberg par Elisabeth Bouchaud Mise en scene de Serge Dangleterre Scénographie et Costumes de Kham Lhane Phu Lumieres de Fabrice Blaise avec : Elisabeth Bouchaud Jean Benoit Terral Théâtre de la Reine Blanche Paris le 12 avril 2017 © Pascal Gely

Comment est née l’aventure du théâtre de la Reine Blanche ?

E.B. : C’est un vieux rêve ! Lorsqu’on avait vingt ans, mon mari m’a dit : « je t’achèterai un théâtre ». Trente ans après, il l’a fait ! (rires). Comme quoi, il faut croire en ses rêves…. Depuis très longtemps, j’avais envie d’avoir un lieu car j’écris, je joue, je m’exprime mais toujours avec cette envie de défendre un certain théâtre, un théâtre exigeant mais accessible au plus grand nombre. On a ouvert ce lieu en octobre 2015 et si la première saison a été très difficile, celle-ci est loin d’être ridicule, grâce au travail de toute l’équipe qui m’accompagne, avec laquelle j’aime beaucoup travailler. On partage tous ensemble la volonté que ça marche, l’envie que le public, les comédiens, les metteurs en scène, les compagnies se sentent bien et reviennent ici comme dans leur «Maison». On n’a que trois ans de programmation derrière nous et on a déjà des fidèles : Jean Alibert qui va ouvrir la saison avec « Galilée le mécano ». C’est la troisième fois qu’il ouvre la saison, c’est un beau cadeau.

Comment définiriez-vous ce théâtre ?

E.B. : C’est un théâtre qui marche sur une crête, dirons-nous, à la fois extrêmement exigeant au niveau artistique et au niveau du sens mais, en même temps, ouvert au plus grand nombre. Il n’y a rien tant qui m’ennuie que le théâtre hermétique, fait pour une élite, où tout le monde s’ennuie. Pour moi, le théâtre, c’est le plus court chemin d’un homme à un autre, c’est le lieu de l’émotion par excellence mais de l’émotion qui véhicule du sens.

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Vous parlez d’un lieu d’émotion mais le théâtre de la Reine Blanche est aussi un lieu de connaissances, d’éducation à la culture scientifique.

E.B. : Tout à fait ! Mais ceci dit, sans jamais être didactique. On veut éduquer le grand public à la science justement par la transmission d’émotions. Parce que nous avons tous cette capacité à être émus alors que nous n’avons pas tous la même capacité de déduction ou de compréhension. En passant par l’affect, on peut transmettre un peu cette culture scientifique, qui doit faire faire partie de la culture générale au même titre que les lettres, l’histoire ou la philosophie. La culture ne doit pas s’arrêter au seuil des sciences.

En quoi est-ce important ? Quelles actions menez-vous dans ce domaine ?

E.B. : Je pense qu’il faut démystifier la peur des sciences, mal très français. On entend trop souvent : « La science, c’est compliqué », « Tu n’as pas la bosse des maths… », c’est faux en réalité, tout le monde peut entendre de la culture scientifique et c’est d’autant plus important que la science est un outil d’exploration de l’univers, de nos origines. Elle peut apporter, au même titre que la philosophie ou la littérature, des bribes de réponses aux grandes questions universelles : d’où vient-on ? Qui est-on ? Quel est le sens de notre passage sur terre ? Elle apporte aussi des éclairages sur les grands enjeux sociétaux actuels : la procréation, le genre, le climat, le partage de l’énergie… Raison pour laquelle nous organisons ici des conférences avec des personnalités scientifiques de premier plan pour parler de sciences de manière très accessible. On a reçu par exemple Stéphane Mallat, professeur au Collège de France venu parler d’intelligence artificielle. Une conférence vraiment brillantissime qui a passionné le public.

LE PARADOXE DES JUMEAUX
LE PARADOXE DES JUMEAUX de Jean-Louis Bauer et Elisabeth Bouchaud mise en scène de Bernadette Le Sache Décor de Juliette Azemar Costumes de Karen Serreau Lumière de Paul Hourlier création sonore de Stéphanie Gibert avec : Elisabeth Bouchaud Karim Kadjar Théâtre de la Reine Blanche Paris le 14 novembre 2017 © Pascal Gely

Vous souhaitez aller plus loin dans cette démarche ?

E.B. : Oui, on va aller plus loin en proposant une toute nouvelle série à la saison prochaine qui va s’appeler « Des Savants sur les Planches », durant laquelle un ou une scientifique fera une conférence sur un thème précis tout en étant relayé(e) par des artistes (musiciens, jongleurs, cinéastes, peintres,…) qui vont s’emparer de cette parole scientifique pour la rendre sensible. La première conférence sera consacrée au thème «Les métaux, la vie et le chimiste» et sera co-animée par Clotilde Policar, chimiste à l’École Normale Supérieure et par Coralie Emilion-Langille, comédienne et peintre, pour parler métaux, pigments, textures. Nous avons un programme formidable avec des scientifiques de tout premier plan.

La Reine Blanche, un lieu d’émotions, de savoirs mais également un lieu de partage…

E.B. : Oui, on essaye de partager beaucoup de choses ici ! On organise des expositions photos, de peintures ; on propose des soirées cinéma avec notre programme «Cinéma et cuisine du monde» et on mange ensemble notamment une cuisine délicieuse syrienne avec notre Chef Emad, réfugié syrien qui se lance comme traiteur.

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Quels sont vos projets pour La Reine Blanche ?

E.B. : D’abord, bien entendu, remplir de plus en plus nos salles et puis à court terme faire tourner nos productions partout en France parce qu’elles gagnent, je pense, en qualité chaque année. Il faut que La Reine Blanche se délocalise progressivement et qu’elle aille à la rencontre de nouveaux publics. Ce travail d’éducation des publics dans la bonne humeur et la convivialité qui est fait à Paris, on voudrait en faire bénéficier le plus grand nombre. Nous ouvrons d’ailleurs en 2019 « Avignon-Reine Blanche », un théâtre à Avignon de 50 places, situé juste derrière le Palais des Papes.

Quel a été votre parcours de scientifique et d’artiste ? Comment vous êtes-vous formée au métier de comédienne ?

E.B. : Ma première passion a été l’écriture et le théâtre mais je suis issue d’une famille modeste, immigrée, et il était inenvisageable qu’une fille fasse du théâtre donc j’ai fait des sciences parce que j’aime aussi les sciences passionnément. Et quand j’étais en troisième année d’École Centrale, donc à peu près sauvée (rires), je me suis inscrite au Conservatoire de Bourg-la-Reine/Sceaux et j’ai eu deux professeurs extraordinaires, Cécile Grandin et Jean-Pierre Martinot, qui m’ont transmis les bases du métier de comédienne. Je n’ai pas vraiment eu de carrière de comédienne à proprement parler mais j’ai joué en pointillés parallèlement à mon activité professionnelle.

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Vous avez notamment interprété Marie Curie dans « Le Paradoxe des Jumeaux ». Comment abordez-vous et travaillez-vous vos rôles ?

E.B. : Je ne joue pas nécessairement une femme scientifique, ce qui m’est arrivé d’ailleurs l’an dernier dans la pièce « Puzzle », une adaptation du film « Portrait d’une enfant déchue » de Jerry Schatzberg. En réalité, je ne joue que des rôles que j’écris. Ce que j’aime, ce sont des personnages complexes qui se dévoilent, se livrent petit à petit dans une pièce. Cela permet de montrer plusieurs facettes d’un personnage sur lesquels il faut être très clair en tant qu’auteure et comédienne.

Une fierté ?

E.B. : Oui, je suis très fière d’avoir mis La Reine Blanche sur la carte des théâtres parisiens parce qu’au début ce n’était pas gagné. Fière que ce théâtre existe, que ce théâtre de sciences ait un lieu. C’est précisément parce qu’on existe, qu’on monte des pièces, qu’on crée des rencontres, qu’on sensibilise certaines personnes à la science qui ne l’auraient jamais été autrement. Et c’est formidable. ♦

Propos recueillis par Elisabeth Donetti

Théâtre de la Reine Blanche, 2 bis passage Ruelle, 75018 Paris

Tel : 01 40 05 06 96

http://www.reineblanche.com/

 

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