♥♥♥ Passions inavouées, amours contrariés, élan des âmes et désespoir des cœurs, c’est toute la quintessence de l’âme russe que l’on retrouve dans la pièce d’Ivan Tourgueniev « Un mois à la campagne », fort élégamment mise en scène au Déjazet par Alain Françon. La pièce nous plonge au cœur de l’été, dans la Russie provinciale et bourgeoise du XIXe siècle.
Dans la datcha de la famille Islaïev, la belle Natalia Petrovna, délaissée par son mari et n’ayant pour seul confident que Rakitine, un ami de de famille certainement épris d’elle, s’ennuie ferme jusqu’à l’arrivée d’un jeune et humble étudiant moscovite Beliaev, engagé pour l’été comme précepteur de son fils Kolia. Son cœur s’embrase aussitôt et la passion la fait chavirer, tout comme sa jeune pupille Véra qui tombe également amoureuse de Beliaev. C’est le début d’une grande tempête sentimentale et tensionnelle le temps d’un mois d’été….
Chez l’auteur russe Ivan Tourgueniev, lui-même épris en son temps d’une femme mariée la cantatrice française, Pauline Viardot – on est convié à un grand « tsunami » sentimental et il fallait un casting de haut vol et une direction d’acteurs remarquable pour traduire parfaitement sa pièce dont l’intérêt réside principalement dans la succession émotionnelle des personnages et, en creux, l’importance des classes et des conventions sociales.
Et le travail est admirablement réussi : les comédiens sont excellents, à commencer par Anouk Grinberg qui campe une impériale Natalia à la fois emportée par la passion et résignée de ne pas y céder, l’élégant Micha Lescot dans le rôle de Ratikine, cynique et secrètement épris, et Nicolas Avinée, dans le rôle de Beliaev, déjà vu et apprécié dans « Vu du Pont« . Les personnages secondaires sont du même niveau et apportent souvent fraîcheur et drôlerie (Philippe Fretun dans le rôle du docteur Chpiguelski). Texte superbe, répliques ciselées, silences nourris. Quoique modestes, les décors peints tels un tableau de Seurat, et les costumes pastels nous transportent aisément au sein de cette bonne société russe de la fin du XIXe siècle. Pièce d’une rare élégance, fraîche comme une brise printanière et fiévreuse comme un orage d’été. Dommage seulement, mauvaise place oblige, d’avoir dû tendre l’oreille durant tout le spectacle pour écouter le texte. Les comédiens parlaient bas, mon voisin découragé en est même parti. Quel regret pour du si bel ouvrage. ♦
Signé Elisabeth
Théâtre Dejazet, 41 boulevard du Temple, 75003 Paris – Métro République
Du lundi au samedi à 20h30
Jusqu’au 28 avril 2018
Crédit photos : Michel Corbou