Valérie Baran est la pétulante et souriante directrice du TARMAC, unique théâtre entièrement dédié à la scène contemporaine francophone. Avant la représentation du dernier spectacle de Julien Mabiala Bissila « Au nom du Père, du Fils et de J. M. Weston » (cf. chronique parue sur notre blog), dans les confins de son bureau, elle a confié à « Coup de Théâtre », avec passion et conviction, ses dix années de défense d’une création scénique en langue française et aux expressions plurielles.
Coup de théâtre : Bonjour Valérie, vous êtes directrice du Tarmac depuis dix ans. Quel est votre parcours ?
Valérie Baran : Fraîchement diplômée d’une école de commerce, je suis partie pour Moscou comme attachée aux questions économiques et sociales et aux relations avec les entrepreneurs Français et Russes dans une grande entreprise. Lors de mon séjour, je découvrais la vie artistique moscovite. Plus particulièrement, je me délectais de lectures de textes de théâtre (même si pour beaucoup le théâtre n’est pas un genre littéraire à part entière). Elles me fascinaient tout comme mes multiples rencontres avec des personnes de toutes origines. A mon retour en France, au gré du hasard – mais est-ce vraiment le hasard ? – on me propose un poste d’attachée aux relations avec le public au Théâtre National de Rennes. Avec enthousiasme, je m’associe à cette formidable aventure.
A ce jour, c’est l’unique théâtre français dédié à la création francophone. Quelle est l’histoire de la création de ce lieu ?
V.B. : Dans les années 2000, j’ai ressenti le besoin de faire une pause professionnelle et de découvrir d’autres contrées, d’autres cultures, d’autres personnalités. Après mon retour de Chine, je me suis présentée à Gabriel Garran, fondateur du Théâtre de la Commune d’Aubervilliers puis du Théâtre International de Langue Française (TILF) installé alors au Pavillon de Charolais du Parc de la Villette, ancienne buvette du marché aux bestiaux aménagées en un théâtre de 160 places. Pourquoi mes pas m’ont-ils conduits jusqu’au TILF ? Sa première mission était de créer un répertoire reflétant la diversité des trajectoires de la langue française à travers le monde. Le TILF révèlera nombre d’auteurs et artistes africains, maghrébins ou encore québécois. J’y ai exercé en qualité de secrétaire générale et administratrice. Lorsque Gabriel Garran prit sa retraite, j’ai été nommée pour lui succéder. Puis en 2011, le Ministère de la Culture nous offre la possibilité de nous installer dans les locaux de l’ancien Théâtre de l’Est Parisien. Dépositaire de l’histoire du TILF et du TEP, le Tarmac est né.
Selon vous, quelle est l’importance de l’existence d’un tel lieu à Paris au cœur d’une offre scénique si vaste ?
V.B. : Le Tarmac, c’est à la fois une invitation au voyage, un espace de rencontre, un tremplin pour les artistes et les compagnies des quatre coins du monde. Essentiellement orientés vers le théâtre et la danse, nous nous engageons pour la création en accompagnant durablement les artistes et en favorisant la circulation au sein de réseaux nationaux et internationaux, des œuvres que nous contribuons à faire naître. Cet universalisme cosmopolite est essentiel à la vitalité d’un théâtre citoyen au sein duquel chaque individu, jeune ou adulte, à sa place et son droit à la parole. Notre public, plus souvent francilien, est représentatif de toutes les composantes sociales et culturelles de notre société, notamment car notre programmation fait écho aux enjeux actuels du monde. Nos actions culturelles et notre politique d’accessibilité permettent également d’ouvrir le Tarmac à tous pour une incitation permanente à abolir les frontières et à démontrer la richesse de nos différences. C’est dans ces conditions que l’art devient un formidable vecteur de transformation sociale et du vivre-ensemble.

LeTARMAC ©EricLegrand
Votre première préoccupation en qualité de directrice d’un lieu scénique, est la programmation. Allez-vous au devant des créateurs à moins que le Tarmac aille à leur rencontre…
V.B. : L’un et l’autre ! Naturellement, nous répondons à de très nombreuses sollicitations. Parallèlement, j’ai la chance de pouvoir aller à la rencontre des artistes là même où ils se nourrissent, travaillent, créent. Les artistes sont les vigiles de leur société, ils ont un rôle politique essentiel. Le Tarmac met en œuvre tous les possibles pour leur permettre de mettre en scène leurs spectacles aussi bien sur le lieu de leur création que de les représenter sur Paris.
Quelles sont vos principales difficultés pour bâtir votre programmation. Sans doute, sont-elles financières comme tout autre lieu de création théâtrale. A celles-ci, ne s’ajoute-t-il pas des obstacles administratifs pour faire venir des troupes implantées au-delà de l’espace Schengen ?
V.B. : Par nature, l’activité théâtrale est déficitaire. Pour le Tarmac, s’y ajoutent des frais multiples – visas, transports, hébergement – sans oublier de trop nombreux problèmes administratifs dont l’obtention des visas. Ces véritables combats pour faire venir des artistes provenant de pays situés hors de l’espace Schengen peuvent expliquer pourquoi des directeurs de salles de spectacles hésitent ou refusent de les produire puis de les programmer. En effet, au-delà d’un simple accompagnement, nous assurons la responsabilité financière et administrative des spectacles que nous produisons, tout en partageant notre expérience et en apportant notre expertise, notre savoir-faire et nos moyens techniques aux artistes. Mais comment peut-on promouvoir la francophonie si on doit sans cesse batailler pour faire venir en France des artistes issus de pays francophones ? Pourtant, ce sont les locuteurs francophones qui enrichissent la langue française d’aujourd’hui. Si la politique culturelle n’évolue pas, notre langue régressera.

Sacré-Printemps – Photo-Blandine-Soulage
Quel est votre mot « théâtre » préféré ?
V.B. : Création ! A lui seul, ce mot donne le sentiment qu’on porte la vie d’un spectacle, que l’on favorise sa mise au monde. Une création théâtrale, c’est le bonheur de partager avec le public un projet, une parole différente selon le pays qu’elle représente, une liberté d’expression pour que chacun s’empare de son destin par les voies démocratiques qui lui sont offertes. La perception théâtrale est différente selon le public et le moment. Parfois, elle est en pleine écho avec notre actualité et prend alors un sens qui nous échappe. Lorsque l’on sait que la programmation d’un lieu scénique s’établit à deux années en amont, il nous est impossible d’envisager les évènements qui marqueront notre actualité lors des représentations.
Pour conclure, quels sont les prochains spectacles à découvrir au Tarmac et à ne manquer sous aucun prétexte ?
V.B. : Tous ! J’invite les lecteurs de votre blog à visiter notre site : www.letarmac.fr pour découvrir notre programmation éclectique – théâtre, danse, rencontre, etc. -, une concrète invitation à s’ouvrir au monde.
LE TARMAC, la scène internationale francophone
159 avenue Gambetta, 75020 Paris
Tél. 01.43.64.80.80.
Propos recueillis par Isabelle Lévy