IL N’Y A PAS DE AJAR – THÉÂTRE DE L’ATELIER

♥♥♥♥Pour sa première pièce de théâtre, Delphine Horvilleur, rabbin(e) et conteuse, fait le pari (risqué) d’un monologue au sous-titre un peu énigmatique : Monologue contre l’identité. Face aux revendications identitaires et communautaires de toutes sortes, elle nous montre que nous ne sommes jamais « ce que nous pensons être ». Nous sommes juif, musulman, chrétien, agnostique… mais pas que. Nous sommes aussi homme, femme ; aussi père, mère, etc., donc la somme d’une addition de possibles nous-mêmes, toujours en perpétuel devenir. Ce qui aurait pu vite tourner au discours abscons devient, grâce à l’humour irrévérencieux de son autrice et au fascinant pouvoir de métamorphose de son interprète (excellente Johanna Nizard), une brillante démonstration sur les multiples identités dont nous sommes constitués et, de fait, un propos contre toutes les intolérances.

L’absence de certitudes
Derrière ce monologue plane l’ombre tutélaire du maître de la mystification littéraire, Romain Gary, qui joua avec ses nombreux doubles et pseudos tout au long de sa vie – Émile Ajar n’étant que l’un des plus célèbres. C’est donc son prétendu fils, Abraham Ajar, fruit de l’union improbable d’un père fictif et de l’héroïne d’un livre, Mme Rosa (La Vie devant soi), qui va s’exprimer devant nous. Surgi de l’obscurité de la scène ou de nos rêves (« l’autre scène » en psychanalyse), au milieu de jeux de miroirs, il nous parle avec humour de sa filiation avec Abraham, le père de tous les croyants, des détails de sa circoncision – symbole de son incomplétude –, et se moque de la religion juive quand elle se prend trop au sérieux, rappelant au passage que la culture juive a toujours prôné l’ouverture d’esprit et l’absence de certitudes.

Un être caméléon
Les transformations successives de la comédienne (voix, corps, allure) rendent son discours d’autant plus fort qu’elles incarnent la complexité de cet être caméléon, qui nous apostrophe du fond d’une cave, son « trou juif », où il se cache. Johanna Nizard, qui a cosigné avec Arnaud Aldigé une mise en scène inspirée, donne vie, corps et voix à son(ses) personnage(s) avec un naturel et une audace incroyables, se présentant comme un être hybride, mi-homme mi-femme, mi-ange mi-démon (ou encore ni homme ni femme, ni ange ni démon…). À travers elle, Delphine Horvilleur pointe le danger des croyances limitantes et des dérives identitaires. Et célèbre à sa manière, joyeuse et libre, le pouvoir des mots et de la fiction littéraire qui peuvent transcender et transformer les êtres.

Le billet de Véronique

THÉÂTRE DE L’ATELIER
1, place Charles-Dullin

75018 Paris

Jusqu’au 1er octobre : 12 représentations exceptionnelles
Les vendredis et samedis à 20 h
Le dimanche à 16 h
Relâche les 8,9 et 10 septembre
Durée : 1 h 15

Crédits photo : Pauline Legoff

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