
♥♥♥ Molière et Mikhaïl Boulgakov. L’un, homme de théâtre de la France du XVIIe siècle, l’autre le dramaturge russe des années Staline. Deux observateurs de leurs sociétés, deux trajectoires contrariées par les bien-pensants de leurs époques, deux destins qui se font écho à 300 ans d’intervalle, merveilleusement racontés et mis en scène par Louise Vignaud dans « Le Crépuscule des Singes » à la Comédie-Française. Une pièce en forme de fable qui questionne la relation des artistes au pouvoir. Et offre à Nicolas Chupin, nouveau pensionnaire à la Comedie-Française, un rôle à la hauteur de son (très) grand talent.
Moscou, 1929. Le dramaturge Mikhaïl Boulgakov se voit interdire la publication et la diffusion de ses pièces, jugées trop défavorables au régime en place. Seul contre tous, avec l’unique soutien de sa femme Elena, il perd peu à peu contact avec le réel pour glisser dans une rêverie qui le plonge 300 ans plus tôt, dans la France de Louis XIV et les querelles d’un certain Jean-Baptiste Poquelin, dit Molière, en proie lui aussi à la censure de son époque (les dévots, les précisieuses des salons..). Se noue un dialogue imaginaire entre les deux hommes de théâtre, une parallélisation de leurs parcours de vie (tous deux souffrent d’une maladie pulmonaire) et de leurs combats pour défendre leur art, leur liberté de créer, leur arcboutisme à faire exister leurs oeuvres.
A la manière d’une fable baroque et colorée, la co-autrice et metteuse en scène Louise Vignaud offre une pièce éminemment intéressante sur la relation ambivalente des artistes au pouvoir, entre protection et censure. La scénographie à la fois simple, habile et fluide nous fait voyager à travers les époques, du théâtre de Moscou des années 1930 aux scènes de la cour de Versailles, et mêle la Grande et la petite histoire en privilégiant un portrait plus intimiste des protagonistes. Au coeur d’une troupe totalement investie, Pierre Louis-Calixte campe un Bougalkov bouillonnant, excessif et désespéré tandis Nicolas Chupin (déjà applaudi dans Féminines), dans son premier rôle à à la Comedie-Française, et dirigé à la perfection, force l’admiration avec son Molière acariâtre, tyrannique, tiraillé et terriblement humain dans ses succès ou ses errances. Un grand moment de théâtre.
Signé Elisabeth
Théâtre du Vieux-Colombier, 21 rue du Vieux-Colombier, 75006 Paris
Du 1er juin au 10 juillet 2022
Les mardis à 19h, du mardi au samedi à 20h30, les dimanches à 15h
Photos : Christophe Raynaud de Lage