« Mon objectif ? Laisser un vrai témoignage de ce que j’ai vu sur le plateau. »
Rencontre avec la photographe Laurencine Lot dans le joli quartier de la Nouvelle-Athenes, 9eme arrondissement de Paris par un après-midi ensoleillé de septembre. Laurencine Lot me rejoint au théâtre La Bruyère à l’issue de la représentation de « Signé Dumas » dont elle a d’ailleurs signé les photos. Un parcours atypique pour une passionnée des belles images et des théâtres parisiens qu’elle quadrille à bicyclette depuis 1968. Interview autour d’un café et de beaux ouvrages de photos.
Coup de théâtre : Bonjour Laurencine, quel a été votre parcours professionnel et pourquoi avoir choisi la photographie de théâtre ?
Laurencine Lot : J’ai fait des études de lettres anglais-allemand à l’université de Dauphine et je suis devenue traductrice trilingue. Au départ, c’est ma mère Germaine Lot qui s’est lancée dans la photographie de théâtre dans les années 72-73 en se passionnant pour « Godspell », comédie musicale à la Porte Saint-Martin, dont le sujet était l’Evangile selon Saint-Matthieu racontée et chantée par dix clowns. Elle m’y avait invitée pour mon anniversaire, nous en sommes sorties absolument enthousiastes. Elle a souhaité écrire un livre sur le spectacle mais le projet n’a pas abouti. Du coup, l’envie lui est venue, à défaut de l’écrire, de le photographier !
Et vous avez commencé comme cela ?
L.L. : Absolument ! Ma mère a obtenu les autorisations pour photographier le spectacle en public et j’ai très vite mis la main à la pâte ! Elle ne travaillait qu’en noir et blanc mais comme elle avait horreur de se retrouver dans le noir complet, c’est moi qui développais les films. Elle se réservait le travail des tirages. J’apportais les photos au théâtre, et les offrais aux comédiens : Daniel Auteuil, Bernard Callais, Dave « de la part de maman »…Au début, c’était vraiment pour faire plaisir. Et puis progressivement ma mère a été invitée à d’autres spectacles, elle a continué à travailler de manière très artisanale, en passionnée. Elle a fait de très belles choses, puis c’est moi qui ai pris la relève !
A quel moment en avez-vous fait un métier ?
L.L. : Je ne me le suis pas vraiment dit comme cela. Cela s’est fait de fil en aiguille. J’ai quitté progressivement mon métier de traductrice pour devenir photographe de théâtre.
Avez-vous pris des cours de photographie?
L.L. : Jamais ! J’ai travaillé en noir et blanc pendant de nombreuses années. La photographie en couleur au théâtre ne m’intéressait pas car à l’époque les pellicules couleur faussaient les lumières de théâtre. Quand la Comédie-Française, pour laquelle je travaillais en noir et blanc, a souhaité me contractualiser, je suis passée à la couleur pour répondre au souhait du Français. C’était une nouvelle façon de travailler par rapport au noir et blanc avec des commandes toujours très pressées et un rythme effréné avec des photos à livrer le lendemain des reportages.
En quoi la photographie de théâtre est-elle particulière par rapport à la photographie en général ?
L.L. : Je dirai que la photographie en général n’existe pas ! Tous les photographes ont un attrait particulier pour un thème précis. Mais la photographie de théâtre est en effet quelque chose de très particulier. D ‘abord parce que le plus souvent, on ne photographie un spectacle qu’une seule fois, sauf si l’on est vraiment en intimité avec un metteur en scène, un directeur de théâtre, une compagnie et qu’on peut suivre l’évolution du travail sur plusieurs semaines, ce que m’autorise Anatoli Vassiliev : dans ce cas précis, c’est là un accompagnement exceptionnel.
Il est évident qu’il est beaucoup plus intéressant de photographier un spectacle deux fois plutôt qu’une. Imaginez-vous arrivant dans une salle pour une création théâtrale dont vous ne savez rien du décor, du dispositif scénique, des costumes, des lumières… Il y a beaucoup d’inconnues qui impactent mon travail.
A quel moment photographiez-vous ?
L.L. : La plupart du temps, je photographie lors de la dernière répétition dans les conditions réelles du spectacle. L’idéal, c’est la dernière répétition avant que le public n’arrive : décor, costumes, coiffures, maquillages, lumières, tout est en place. L’autre cas de figure, c’est quand aucune séance photo n’est prévue, et qu’il y a la possibilité de travailler en public, – ce qui m’est arrivé dans tous les théâtres, même au Français pour des reprises de rôles.
Vous documentez-vous sur les pièces avant de les photographier ?
L.L. : D’une façon générale, je lis le dossier de presse qui m’est envoyé.
Qu’est-ce qui vous guide ? Qu’essayez-vous de mettre en valeur ?
L.L. : Ce que j’essaie de mettre en valeur, c’est laisser un vrai témoignage de ce que j’ai vu sur le plateau. En fait, les photographies de théâtre sont pour moi des instants, une signature du spectacle monté par tel metteur en scène, joué par tels comédiens, à telle date, à tel endroit.
Quelles sont les difficultés de votre métier ?
L.L. : Je dirai la dégradation de la qualité du travail. Depuis l’apparition du numérique, tout dégringole ! Les photographes de théâtre étaient habituellement convoqués à un filage photo qui commençait à 20h et se terminait à la fin du spectacle. Progressivement, avec la concurrence de la télévision, les attachés de presse ont commencé à valoriser les vidéos plutôt que les images fixes. Certains réunissent même caméras de télévisions et photographes lors d’une même séance qui ne montre que les « meilleurs moments » d’une pièce. C’est impossible de pouvoir s’exprimer artistiquement dans ces conditions. Il suffit de regarder les photos, les vidéos sur les réseaux sociaux Toutes ces photos prises depuis les portables… Il n’y a plus rien qui est net, qui a du sens, qui est cadré, qui a de l’expression. C’est désolant.
Par ailleurs, c’est un métier difficile physiquement. Nous sommes peu de femmes à l’exercer. Je ne compte plus le nombre de fois où je suis rentrée à minuit, le sac photo sur le dos, et il pèse ! Heureusement que je me déplace à bicyclette dans Paris depuis 1968….
Qu’est ce qui vous donne satisfaction ?
L.L. : Le plaisir est constant, permanent et renouvelé, à condition que le spectacle soit à la hauteur de mes espérances.
Quels sont les univers de théâtre que vous préférez photographier ?
L.L. : Le théâtre commençant d’abord par le texte, je ne suis pas très intéressée par les onemanshows, qui se multiplient à tort et à travers, ni les comédies de boulevard…
Quels sont vos plus beaux souvenirs de reportages ?
L.L. : Il y en a des centaines !(NDLR : En me parlant, Laurencine Lot feuillette son livre « Monstres sacrés, sacrés comédiens », 400 photographies de comédiens sur scène). Si je remonte un peu dans le temps, je me souviens de ce portrait de Maria Casarès en 1977 au théâtre de la Ville dans La Mantepolaire de Rezvani mise en scène par Jorge Lavelli. Les maquillages noirs et blancs étaient superbes. J’avais frappé à toutes les loges des comédiens mais celle que je souhaitais surtout photographier se maquillant, c’était Maria. Une vraie rencontre.J’ai eu droit à des années exceptionnelles avec Antoine Vitez, Laurent Terzieff qui m’acceptait en répétition, Jean-Louis Trintignant, Annie Girardot, Robert Hirsch, Suzanne Flon, Jacques Mauclair, Michel Bouquet, Catherine Samie… Que de monstres sacrés !
Vous avez édité huit ouvrages de photographies. Comment naissent ces projets ?
L.L. : On me le propose généralement. Je pense au livre « Instants de théâtre » paru en 2016, dont la demande m’a été faite par Michel Corvin. Il choisissait mes photos sur planche contact et m’envoyait le texte le lendemain. Seule condition : il devait avoir vu le spectacle. Une très belle collaboration de deux années : cent textes pour cent photographies.
J’ai également consacré un ouvrage à Carlotta Ikeda et à sa danse butô, que j’ai accompagnée à partir de 1978. Un art chorégraphique très particulier qui s’est développé au Japon après Hiroshima. Et puis, sans rapport avec le théâtre, j’ai édité un livre de photographies sur la montagne Sainte-Victoire dont les textes ont été écrits par Jean Verdun.
Et des expositions ?
L.L : Je n’ai pas d’exposition en ce moment-même, j’en ai eu deux dans la Galerie du Lucernaire en 2015 et 2017,deux fois deux mois. Et l’année dernière, j’ai exposé sur le thème d’Hamlet à la Maison des Arts et de l’Image de Rueil-Malmaison.
Mais de façon plus durable, je suis très reconnaissante à Francis Lombrail de m’avoir confié l’occupation visuelle du foyer du Théâtre Hébertot. Enfin la photographie de théâtre mise à l’honneur !
Quels sont vos projets ?
L.L : C’est ce que vous avez entre les mains !(Ndlr : LaurencineLot me montre une présentation de livre de photographies de bicyclettes). Rien à voir avec le théâtre et en même temps si, car je me déplace à vélo pour aller d’un théâtre à l’autre comme je vous le disais. Ce sont Les Vélos du monde,un ouvrage de photos de bicyclettes prises pendant mes voyages à travers le monde depuis 1977. 250 photos, 240 pages, une trentaine de pays avec des textes que j’ai écrits. J’ai la chance d’avoir une préface de Gilles Costaz. Il sortira en librairie le 26 octobre prochain en prévision des fêtes de fin d’année car il peut constituer un très beau cadeau pour les amoureux de la bicyclette. ♦
Merci !
Propos recueillis par Elisabeth Donetti
Pour en savoir plus
https://photolaurencinelot.odexpo.com/
Merci !
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Belle rencontre! J’aime beaucoup son travail!
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