UN (DEUXIÈME) CAFÉ AVEC DAVID BARROUK, COACH D’ACTEURS, AUTEUR DE « STAN OU LE SOLFÈGE DE L’ACTING »

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«J’ai voulu écrire un livre très interactif qui tende la main aux acteurs et à tous ceux qui sont acteurs de leur(s) vie(s)» David Barrouk 

J’ai rencontré David Barrouk la première fois en 2014 à l’occasion d’un stage de théâtre, fondé sur la Méthode de l’Actor’s Studio, qui a formé tous les plus grands acteurs américains. Le stage avait donné lieu à un premier « Café avec » passionnant dans lequel David, coach d’acteurs et fondateur de l’école Method Acting Center, m’avait exposé son approche et sa passion pour son métier. Il en a tiré un ouvrage « Stan ou le solfège de l’Acting » publié ce printemps. Nos chemins se recroisent donc un dimanche d’été aux Batignolles pour un deuxième café avec! Le personnage n’a pas changé : toujours aussi chaleureux, érudit… et communicatif . 

Coup de théâtre : Bonjour David, comment est né le projet du livre ?  

David Barrouk : Bonjour Elisabeth, et merci de boucler la boucle en me re-donnant la parole là-même où j’ai évoqué ce livre publiquement pour la première fois. Pour répondre à ta question, je dirais que « Stan ou le Solfège de l’Acting » provient principalement de deux sources. D’abord, l’envie de formaliser et « synthétiser » toutes les notes prises pendant plus de 15 années de coaching en ateliers ou sur des tournages.

Ensuite, l’envie de rendre accessible la réflexion et le travail de Stanislavski, qui reste pour moi une lecture fondamentale dans l’apprentissage des métiers d’acteur, de scénariste et de réalisateur, mais aussi dans l’apprentissage de la vie toute entière ! Ceci dit, j’ai souvent, et avec un très grand étonnement, entendu que les livres de Stanislavski étaient ennuyeux, laborieux, trop scolaires, et ce, plus particulièrement dans la forme. De là, l’idée de réactualiser le propos – ce qui ne veut nullement dire le moderniser vu que lesdits propos sont intemporels – et par la même occasion, de redonner les fondamentaux de la Méthode qui a été beaucoup caricaturée, aussi bien par ses détracteurs (souvent incultes en la matière) que par ses fanatiques (souvent à côté de la plaque sur ce sujet).

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Comment l’as-tu structuré ?

D.B. : La plus grosse partie du livre, la partie centrale, est constituée d’innombrables exercices d’Acting ; tandis que le début et la fin du livre, tout en touchant bien évidemment à notre sujet, le font de façon plus « périphérique » et/ou subjective. Il y est, entre autres, question de l’historique de la Méthode qui, ne l’oublions pas, a révolutionné le théâtre puis le cinéma, et, par un inévitable ricochet, la façon même dont l’être humain se voit ; il y est aussi question de la posture à adopter dans l’Acting, pour ne pas dire dans tout acte créateur, pour ne pas dire dans le vie toute entière ! (rires) C’est ce point que j’appelle « Les Quatre Barrières à Fracasser». Fondamentalement, j’ai vraiment voulu faire de ce livre un outil très interactif qui tend la main aux lecteurs/acteurs en leur permettant de s’exercer, et ce, durant le processus même de leur lecture.

Parlons justement de ces exercices pratiques. Ils sont nombreux dans le livre. Pourquoi et comment les as-tu conçus ? 

D.B. : Ecrire un bouquin théorique de plus sur ce sujet me semblant totalement inutile, j’ai donc opté pour un bouquin truffé d’exercices. Mais là encore, je ne voulais pas me contenter de la forme surannée et soporifique d’une suite froide d’exercices. Je me suis donc amusé à créer un véritable jeu littéraire avec le lecteur, jeu basé principalement sur deux mises en abyme.

La première consiste à inviter le lecteur à explorer sa situation même de lecture, ici et maintenant, en se posant les questions que, dans la Méthode, nous demandons aux acteurs de se poser lorsqu’ils abordent une scène et de ne surtout pas se contenter d’y répondre qu’intellectuellement, mais aussi et surtout physiquement, sensoriellement et émotionnellement : Où es-tu ? Pourquoi lis-tu ce livre ? Quel est le contexte ? Dans quel état d’esprit es-tu ? Quels sont les enjeux de cette lecture ? Les obstacles ? Et quelles sont les actions psycho-physiques que tout cela déclenche organiquement en toi : apprendre ? faire le malin ? se tenir à distance ? s’ennuyer ? s’amuser (j’espère !) ? me critiquer ? etc… Il s’agit donc ici d’explorer, et non d’analyser, comment tout cela se traduit sur les plans physiques, sensoriels et émotionnels ?

Pour la seconde mise en abyme, j’ai écrit le scénario d’un film, « Miss M. », dans lequel moi, David, l’auteur, devient moi, David, le personnage, qui interagit avec des personnages réels et/ou fictifs. Puis je demande au lecteur de faire appel à tel ou tel exercice et de l’explorer dans telle ou telle scène dudit scénario à littéralement in-carner, là aussi ici et maintenant. Ainsi, l’ouvrage permet de s’entraîner in situ et de rentrer, loin des concepts éthérés de l’Acting, très concrètement dans la pratique directe, organique, ludique et tangible de la Méthode.

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A qui s’adresse ton livre ?

D.B. : D’abord bien sûr aux acteurs, aux directeurs d’acteurs, aux metteurs en scène, aux réalisateurs, aux enseignants… Mais également à toutes celles et tous ceux qui sont intéressés par ce qu’on appelle, parfois vaguement, le développement personnel, que je préfère appeler l’exploration du potentiel infini de l’être. Ceci dit, on pourrait légitimement se demander : « En quoi l’Acting et le développement personnel sont liés ? » A quoi je répondrai : « En tout ! » Car, fondamentalement, qu’est-ce qu’un acteur réaliste fait lorsqu’il se prépare à une scène, se met dans un état voulu, voire même crée un monde parallèle ? Eh bien, de la PNL pure : de la Programmation Neuro-Linguistisque. In extenso, les outils de l’Acting peuvent être d’une grande utilité pour découvrir son propre potentiel, savoir y accéder et le nourrir pour reprendre le pouvoir sur soi, surmonter ses peurs, s’accepter, se décomplexer, bref, être bien dans ses baskets et en pleine possession de ses moyens… Raison pour laquelle l’ouvrage est sous-titré « A tous ceux qui choisissent d’être acteurs de leur(s) vie(s) ».

Prenons un exemple : quand je conseille de faire des exercices de relaxation, de visualisation, de réflexion sur les relations à l’autre, on dépasse le cadre strict du jeu d’acteurs. Ces exercices peuvent être utiles dans la vie personnelle de chacun. Bien sûr, il ne s’agit pas de mélanger les genres, je ne suis (Dieu merci !) pas un psychologue et je délimite tout de suite la barrière du privé. Mais il y a des ponts ! Dans cet ordre d’idée, je pense que l’Acting ne peut pas se contenter de parler d’Acting, sinon il devient un miroir qui se regarde lui-même, et un miroir ne peut pas se regarder, il lui faut un objet pour entrer en résonance. Et l’objet dans l’Acting, c’est la vie ! Voilà pourquoi je suis persuadé que ce livre peut s’adresser à tous.

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Que souhaiterais-tu que les lecteurs en retiennent ?

D.B. : Premièrement, j’ai envie de participer à faire redécouvrir Stanislavski, peut-être un peu oublié aujourd’hui ou regarder de haut (par ceux d’en bas !), de rendre hommage à son esprit brillant, inspirant, de raviver son travail, ses réflexions qui, tout comme des générations d’artistes avant moi, m’ont personnellement énormément enrichi. Deuxièmement : désacraliser, décomplexer son « mythe » qui peut faire peur aux jeunes acteurs, et ce, en proposant des outils ludiques, interactifs, pédagogiques et surtout très utiles pour jouer. Enfin, redonner, ou du moins rappeler, ses lettres de noblesse au métier d’acteur, c’est à dire pointer le curseur sur la qualité et l’exigence, dans une époque où, quitte à passer pour le réac’ de l’art que j’assume d’être ! (rires) dans une époque, disais-je, où l’abrutissement, la vulgarité, la facilité et consorts se sont généralisés dans le théâtre et surtout dans le cinéma.

Oui, je pense que la vocation de l’art est de renvoyer aux êtres humains un regard sur eux, un regard sur le monde et surtout une potentielle réalisation de transcendance. Il ne s’agit bien évidemment pas ici d’un art aridement et artificiellement intellectuel, mais d’un art qui, tout en étant populaire ne devient jamais populiste et offre un, même des horizons qui dépassent le trivial anecdotique pour atteindre, tout à la fois, les profondeurs de l’Âme et les cimes de la Nature. A titre d’exemples, on pourrait évoquer le cinéma de la Nouvelle Vague ou du Nouvel Hollywood des années 60 au début des années 80, les films de Scorsese, Cassavetes, De Palma, Coppola, Bob Fosse, Kubrick ou, en Europe, Audiard Père, Fellini, Louis Malle, ou encore des œuvres plus récentes telles que certaines séries Américaines de grande qualité ou des films tels que le très étonnant et brillant Toni Erdmann… On parle bien ici d’œuvres de qualité, intemporelles et pourtant ultra accessibles. J’ai envie que les jeunes acteurs, scénaristes et réalisateurs qui lisent mon livre saisissent toute la beauté potentielle des métiers qu’ils ont choisi d’exercer : ne pas écrire, réaliser ou jouer n’importe quoi n’importe comment, mais au contraire, chercher par tous les moyens, dont celui de l’approche Stanislavskienne, à dépasser la moyenne et à donner du sens. En bref, ne pas rajouter à la misère humaine, mais inviter à la transcendance.

« Tout bon acteur est un acteur de la Méthode. » disait Robert Lewis, créateur de l’Actors’ Studio. Est-ce toujours vrai selon toi ? Pourquoi ?

D.B. : Absolument ! Mais il faut bien prolonger la pensée du brillant Lewis. En disant cela, Lewis rappelle que la Méthode n’est pas un fantasme théâtral subjectif sorti de la tête d’un hurluberlu. Non, la Méthode est un décryptage profond, sens-ible et sensé de la vie fait par Stanislavski. Et tout acteur réaliste un tant soit peu intelligent et sensible va, plus et/ou moins consciemment, s’inspirer de la vie. De fait, oui, tout bon acteur réaliste est un acteur de la Méthode ! Ce décryptage de la vie et des fonctionnements humains est une des raisons pour lesquelles, comme on l’évoquait tout à l’heure, la Méthode est très utilisable par tous dans la vie de tous les jours.

Quels sont les premiers retours de lecteurs ? 

D.B. : Positifs ! Enfin, si on me dit la vérité ! (rires) En tous cas, j’entends souvent : « c’est riche, c’est dense, c’est clair et c’est super qu’il y ait plein d’exercices », mais les mots qui reviennent le plus c’est « je me marre », ce qui, à mes yeux, est un énorme compliment, et ce tout particulièrement lorsqu’il s’agit d’un bouquin pédagogique ! Tout d’abord parce que les seules personnes que je prends véritablement au sérieux sont les « clowns », au sens large du terme ; ensuite parce que je suis persuadé que le meilleur moyen d’apprendre c’est de s’amuser, et vice versa ; enfin, parce qu’indirectement, en disant « je me marre», on dit, « je suis prêt à recevoir, mon terreau interne est souple et humide ». C’est bien pour cela qu’au sein des ateliers de Method Acting Center, on « dépèce » la pédagogie de son sérieux. Et c’est fondamental, car, à contrario de toutes les poses des théâtreux et des universitaires, il ne faut pas être lourd pour creuser profond, mais léger. Et ce, tout particulièrement dans, comme son nom l’indique, le jeu. Il y faut de la détente, se délester du sérieux, accepter ses peurs plutôt que de les sacraliser par la peur de la peur, faire tomber les barrières du paraître, la barrière du regard des autres, les barrières du « il faut » ou du « je dois ».

Et il y a deux outils pour les casser : la technique Stanislavskienne et la posture de désacralisation. On a le droit de se tromper et je dirais même, il est bon de se tromper. Tu sais, sur l’un des murs de l’Actor’s Studio de New York, il est écrit un mot magnifique, un mot magique, qui est le début de toute l’aventure humaine, ce mot, c’est « ESSAYER ». Et qui dit essayer, dit aussi avoir le droit de se tromper. Et qui dit avoir le droit de se tromper, dit aussi, je me déleste du poids de la pression du résultat. Et qui dit tout cela a de grandes chances de mettre toutes les chances de son côté. Ici aussi, cela peut devenir une posture de vie bien utile, posture qui, comme le disait Osho, a.k.a The Spiritually Incorrect Guru (rires), permet de ne plus aborder la vie comme un problème à résoudre mais comme un mystère à explorer.

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Où peut-on se procurer le livre ?

D.B. : Très simplement, via le site web de Method Acting Center. On a voulu dans un premier temps privilégier une diffusion « artisanale » de terrain pour garder une indépendance de ton et d’écriture. Des séances de dédicaces sont prévues dès septembre dans des bibliothèques et des librairies, à Paris et en province. Par la suite, on élargira certainement la diffusion dans de plus grands réseaux, type Amazon.

As-tu le projet d’écrire d’autres ouvrages sur l’Acting ? 

D.B. : Oui, tout à fait ! Un deuxième ouvrage sur la composition de personnages est en cours d’écriture et sera suivi par trois autres, l’un sur le marché professionnel, l’autre sera un livre réunissant une multitude d’exercices, et le dernier sera un livre de monologues qui pourront aussi bien servir comme outil de formation et d’entraînement que comme « carte de visite » pour les bandes démos et les démarches professionnelles. J’en profite pour souligner qu’il y a une incompréhension et méconnaissance profonde du marché professionnel chez les jeunes acteurs. Grosso modo 90% des acteurs perdent 90% de leurs moyens en situation de casting. Pourquoi ? Parce qu’ils sacralisent le marché et ne savent pas répondre à ces questions simples : qu’est-ce qu’un directeur de casting ? Qu’est-ce qu’un réalisateur ? Pourquoi sont-ils là ? Qu’attendent-ils de moi pendant un casting ? Les objectifs du bouquin sur le marché seront donc : dé-sa-cra-li-ser et comprendre ce marché, ces marchés, qui, malgré ce que tentent de faire croire les dinosaures du showbiz accrochés à leur rocher de carton pâte, sont en pleine mutation.

Merci David. Et pour conclure, quelles sont les actualités de Method Acting Center, l’école d’acteurs que tu diriges depuis 15 ans ?

D.B. : On a élargi la palette de nos cours d’Acting en proposant des ateliers d’Impro, des cours d’Acting in English et de Jeu à la Caméra ainsi que des ateliers de Chant, de danse et d’Expression Corporelle. Nous développons également la branche Scénario/Réalisation, mais à contrario de la majorité des écoles de cinéma qui se concentrent principalement sur la technique pure et dure de l’image et du son, nous avons choisi de nous concentrer sur le développement d’une histoire, la direction d’acteurs, le sens donné par la réalisation, ainsi qu’à la faisabilité d’un film. Nous avons d’ailleurs la chance de bénéficier d’un bon réseau de professionnels, de réalisateurs, de directeurs de casting, etc, qui interviendront régulièrement dans nos ateliers dès cette année.

A propos de développement, un coup de chapeau et un grand merci à une partenaire formidable, Adeline Bonacchi, qui m’accompagne sur tous les projets de l’école. Notre souhait au final, c’est d’inviter les acteurs, scénaristes et réalisateurs à monter leurs propres projets avec peu de moyens, mais de grandes ambitions artistiques ! J’ai envie de leur dire comme dans le livre : n’attendez pas que le téléphone sonne, soyez acteurs et acteurs de vos vies ! ♦ 

Propos recueillis par Elisabeth Donetti

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STAN-recto-methodactingcenter_2-1 - Copie« STAN ou le solfège de l’Acting », 416 pages, des dizaines d’exercice, Ed. Method Acting Center

METHOD ACTING CENTER, 93 avenue d’Italie, 75013 Paris. 

 

 

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