Dans son atelier qu’on a l’impression de partager, tant la proximité entre la scène et le public est étroite, Camille, assise sur un banc, dans une tenue de coton blanc, chante à tue-tête et bavarde à en perdre haleine tandis qu’elle lace ses bottes et continue de s’apprêter. Debout, ses mains cherchent éperdument le sculpteur Rodin, son amant (imaginé alors sur scène). Elle l’invite à lui prendre sa main.
En costume d’époque, Octave Mirbeau, Henri Asselin, critiques d’art et journalistes et le peintre Eugène Blot (trois rôles interprétés par Frédéric Goetz et Nicolas Pignon) occupent le fond de la scène, attablés et affairés à lire leurs correspondances. Ils n’ont de cesse de porter, à la lumière d’une bougie, Camille et son œuvre pour que l’éternité ne les oublie pas. Qu’ils se rassurent, Christine Farré (Camille et metteur en scène de la pièce) l’incarne avec une telle vitalité qu’elle semble être là, devant nous. Agenouillée sur le sol, habitée par une force impérieuse et impénétrable, elle creuse, triture, étire, modèle la terre sous ses mains passionnées qui donnent forme à la vie, aux Causeuses… Un talent qui rencontrera bien des déboires à s’exprimer longtemps dans l’ombre de Rodin, prisonnière d’un siècle machiste qui ne l’attendait pas : l’État français ne lui passera aucune commande, elle s’empêtrera dans des difficultés financières. Christine Farré prête sa sensibilité mais aussi son corps à Camille et n’hésite pas à se frotter le visage, son torse, ses bras d’argile pour mieux s’imprégner de l’artiste… D’une voie tourmentée, agitée, emballée, aux confins de l’exaltation de la passion, elle hurle sa souffrance, ses blessures face à ce monde plus enclin aux honneurs et à l’argent qu’à la quête d’un absolu.
Dans une fureur dévastatrice, elle détruira ses statues sous la stupéfaction de Mirbeau et Blot, impuissants à la consoler, et se clôturera dans son atelier avec ses chats. Une lente descente dans la dépression et la paranoïa la conduira à être internée dans un asile psychiatrique pendant trente ans. Délaissée des siens, elle attendra les lettres de son frère Paul et en vain de pouvoir sortir.
Un hommage appuyé à Camille Claudel que Christine Farré sculpte en chair et en os avec une profondeur de sentiment et cisèle avec une vigueur d’expression. Comme le prédisait Eugène Blot, « Le temps a remis tout en place ». En témoigne ce spectacle.
Signé Carole !
À LA FOLIE THÉÂTRE, 6 rue de la Folie-Méricourt, 75011 Paris
Jusqu’au 28 novembre 2015
les vendredis et samedis à 19h30