Albertine Sarrazin. Ce nom ne vous dit peut-être rien. Moi non plus. Jusqu’à la semaine dernière où je suis allée découvrir une pièce qui lui est dédiée. Parce qu’Albertine Sarrazin a existé et sa destinée aussi furtive que lumineuse, tragique qu’incandescente a marqué la France des années 50.
Elle est née en 1937 à Alger de parents inconnus et a été adoptée à l’âge de deux ans. Adolescente brillante mais indisciplinée, elle est placée en maison de correction à Marseille par ses parents adoptifs. Le jour de son bac, elle s’enfuit par les cuisines du lycée et rejoint Paris en stop. Elle connaît alors la misère, la délinquance, la prostitution. A 17 ans, avec sa bonne amie Emilienne, elle tente un holdup dans un magasin de confection. Une vendeuse est blessée, elle est arrêtée et condamnée à 7 ans de prison. Après cinq années d’incarcération, en 1957, elle s’évade de la prison en sautant d’un mur de dix mètres et se brise l’astragale, un petit os du talon. Alors qu’elle rampe sur la route nationale pour trouver de l’aide, une voiture s’arrête, un homme lui porte secours, la cache chez sa mère, la soigne, tombe amoureux d’elle. Cet homme, c’est Julien Sarrazin, un petit malfrat en cavale, qui deviendra le grand amour de sa vie. Après quelques mois de planque, tous les deux sont repris et se marient en prison le 7 février 1959. Albertine connaît alors le désespoir de l’incarcération. En prison, elle écrit deux livres, L’Astragale, « un petit livre d’amour pour Julien » et La Cavale. Les deux livres, publiés en 1964, connaitront un grand succès public et critique. A sa sortie en 1967, Albertine et Julien s’installeront dans un vieux mas près de Montpellier. Albertine, fragilisée par l’alcool, le tabac et sa vie chaotique, entrera en clinique pour subir l’ablation d’un rein. Mais victime d’une trop forte dose d’anesthésique, elle ne se réveillera jamais. Elle avait 29 ans.
C’est la trajectoire de cette jeune femme éprise d’absolu, d’amour et de liberté que la comédienne Mona Heftre a choisi de raconter dans son spectacle sobrement intitulé Albertine Sarrazin. J’ai beaucoup (beaucoup !) aimé ce spectacle, empreint tout à la fois de la plus grande simplicité et d’une énergie incroyable. A la manœuvre, une comédienne épatante ! Pendant 1 heure 15, Mona Heftre, chevelure argent, tout de noir vêtue, avec pour seuls accessoires une paire de talons blancs et une couverture, se glisse dans la peau d’Albertine et raconte à la première personne les grandes étapes de sa vie à travers des récits autobiographiques, des images d’archives et des chansons. Pour construire ce spectacle, elle s’est plongée dans les archives d’Albertine (carnets intimes, journal, poésies, correspondances,..) pour aller au plus près du personnage qu’elle campe avec une générosité formidable. Aussi à l’aise dans l’interprétation de la petite fille en quête d’identité, de l’adolescente frondeuse, de la jeune femme rayonnante à l’apogée de sa gloire littéraire, de la femme amoureuse et mariée, de la prisonnière en proie au désespoir et à la solitude : tout est parfaitement délivré, ressenti, transmis. Un superbe moment de théâtre !
Soirée foot PSG-Barcelone, nous étions un public de femmes ce soir-là. Après le salut et les applaudissements, Mona Heftre a eu la gentillesse de nouer le dialogue très spontanément en répondant à quelques questions sur la vie d’Albertine. Ma voisine a pu lui glisser : « Quels jolis textes et vous les dites tellement bien ! » Un joli moment qu’on aurait aimé prolonger.
Le point de vue d’Elisabeth
Théâtre de Poche-Montparnasse, 75 boulevard du Montparnasse, 75006 Paris
Du mardi au samedi à 21h – Dimanche 15h
Jusqu’au 3 mai 2015

Albertine Sarrazin