
♥♥♥♥ « Peu importe » : l’expression reviendra plusieurs fois au cours de la pièce dans la bouche de l’un ou l’autre des personnages, traduisant l’agacement devant l’échec de toute tentative de communication. Dans cette pièce, traduite et orchestrée avec brio par Robin Ormond, le dramaturge allemand contemporain Marius von Mayenburg (remarqué notamment pour Le Moche) dissèque l’usure de la relation dans un couple, voué à se jeter à la tête les mêmes reproches, à répéter le même conflit, comme dans un cycle infernal.
La pièce s’ouvre avec le retour de Simone d’un voyage d’affaires auprès de son époux, Erik, qui travaille à la maison et s’occupe de leurs enfants. Un couple « à l’avant-garde », comme aime à le répéter Simone. Un partage des rôles équitable en apparence mais qui, très vite, se révèle asphyxiant pour lui comme pour elle. Dans une parodie de couple uni, elle lui a rapporté un cadeau qu’il n’a visiblement pas envie de découvrir. Au milieu d’un décor encombré de paquets aussi nombreux qu’inutiles (symbole de la société de consommation), va se dérouler à un rythme très soutenu un tête-à-tête qui vire rapidement à l’affrontement, dans une langue acérée qui souligne la mauvaise foi, les incohérences et les contradictions de chacun.
Le jeu subtil des deux acteurs (Maryline Fontaine et Assane Timbo, tous deux remarquables de naturel !) nous fait ressentir l’ambivalence des émotions qui les traversent : ressentiments, frustration, rivalité, sentiment d’échec… Comment arriver à conjuguer tout ce que la société actuelle exige d’eux ? Une société où réussite rime non seulement avec ascension professionnelle et matérielle – et son corollaire, la compétition de plus en plus âpre entre les individus –, mais aussi avec harmonie familiale et conjugale. À leurs ambitions professionnelles déçues s’ajoute donc leur sentiment de ratage en tant que parents. Et où sont passés l’amour et l’empathie censés cimenter leur couple ? Que faire quand le « je », trop longtemps étouffé, veut reprendre le pas sur le « nous » ?
Quand l’auteur s’amuse à renverser les rôles pour revenir à un schéma plus classique (Simone devient la femme au foyer et Erik celui qui voyage pour son travail), d’autres questions, liées au genre cette fois – comme celle de la dépendance matérielle de la femme – surgissent. Sous l’humour qui affleure dans les répliques cinglantes, le constat est cruel et plutôt pessimiste. Le thème n’est pas sans rappeler la célèbre Clôture de l’amour, de Pascal Rambert. Ce couple qui se déchire devant nous, c’est un miroir qui reflète nos lâchetés et notre égoïsme contemporains.
Un face-à-face dérangeant mais brillant, servi par deux grands interprètes, qui interroge sur l’égalité des genres au sein de la société, et du couple en particulier. Avancée des mœurs ou simple trompe-l’œil qui sert à masquer les véritables inégalités ?
Le billet de Véronique
PEU IMPORTE
La Scala Paris
13, boulevard de Strasbourg – Paris 10e
Jusqu’au 4 janvier 2026
Vendredi et samedi à 21 h 15
Dimanche à 15 h 15
Crédits photo : Vahid Amanpour

