
♥♥♥D’emblée, la scène frappe l’esprit. Dans le décor cossu d’un appartement bourgeois, sous son portrait en habit d’académicien trônant au-dessus de lui, un homme, Léon de Saint-Pé (Marc Chouppart), est attaché à un poteau, les mains dans le dos. Son crime : avoir séduit et mis enceinte la bonne. Son bourreau ? Sa propre femme, Mme de Saint-Pé (excellente Emeline Bayart), qui, en attendant sa comparution devant le « tribunal des femmes libérées du XVIe arrondissement », a décidé de le forcer à faire acte de contrition.
En effet, dans cette satire – écrite par Jean Anouilh en 1978 –, les femmes ont pris le pouvoir sur les hommes et ont établi une nouvelle société basée sur le matriarcat le plus dur. Tout homme soupçonné d’être phallocrate, dans les propos comme dans les actes, risque d’être émasculé après une parodie de procès. Comme dans toute société totalitaire, il doit donc se repentir des crimes qui lui sont reprochés.
Pièce féministe ou antiféministe ? Que serait la société si les femmes détenaient le pouvoir ? En feraient-elles meilleur usage que ceux qui les ont opprimées pendant des siècles ? Difficile de répondre à cette question tant le sujet de la pièce – écrite par Jean Anouilh en 1978 – est ambigu. Est-ce du lard ou du cochon ? Et de cochons, ou de porcs, il en sera beaucoup question dans la pièce (les hommes en sont tous, comme chacun le sait !)… Certes, Anouilh n’était pas l’auteur le plus avant-gardiste de son époque. Mais s’il pointe les dérives d’une société où le pouvoir serait inversé et s’apparenterait à une dictature féministe, il dénonce aussi l’attitude de prédateurs des hommes envers les femmes. Le propos devient encore plus visionnaire à l’éclairage de notre époque, celle de #metoo et de la dénonciation tous azimuts des dérives sexuelles.
Mais n’oublions pas que cette pièce est avant tout une farce avec des personnages hauts en couleur, destinée à nous faire rire, surtout quand Émeline Bayart y apporte sa touche personnelle, avec des saynètes chantées notamment. Cette manière de traiter le sujet façon comédie musicale lui apporte une légèreté et une originalité bienvenues (La metteuse en scène, comédienne et chanteuse l’avait déjà fait avec succès dans la pièce de Feydeau, On purge Bébé !). L’excellente idée de faire jouer la présidente du tribunal et son assesseure par des hommes (Laurent Ménoret et Marc-Henri Lamande, pianiste) accentue le côté grotesque de ce tribunal d’opérette. Tous les comédiens et chanteurs sont excellents – même si certains moins à l’aise dans ce dernier registre. Saluons l’inénarrable Christophe Canard, en avocat castré prêt à tout pour sauver sa peau, et Herrade von Meier (la nouvelle bonne) et ses grands yeux de biche, parfaite en fausse ingénue qui prête volontiers son concours à son patron « agresseur ».
J’ai beaucoup aimé la scénographie d’Anne-Sophie Grac et les décors, notamment celui du tribunal, qui nous permettent d’assister à des saynètres réjouissantes. Dans la salle, certains riaient un peu jaune. Il faut dire que la farce est acerbe et que personne n’a envie d’en être le dindon… Encore bravo à Émeline Bayart de nous avoir fait rire aux dépens de tous ceux et toutes celles (et ils sont nombreux) qui veulent prendre le pouvoir sur les autres !
Le billet de Véronique
LA CULOTTE
Théâtre Montparnasse
31 rue de la Gaité – 75014 Paris
Du dimanche 2 juin au dimanche 30 juin 2024
Crédit photo : Caroline Moreau




