LES BONNES – THÉÂTRE 14

♥♥ En adaptant Les Bonnes, Mathieu Touzé, metteur en scène et codirecteur du Théâtre 14, a fait le choix louable de revisiter la pièce de Jean Genet (qui a malheureusement pris un « coup de vieux ») et d’essayer de lui redonner de la modernité. Mais ce parti pris nous entraîne dans des variations de style un peu risquées. La pièce démarre plutôt bien (si on excepte l’évocation inutile du laitier, nu comme un ver), dans une ambiance teintée de fantastique. Le décor à la lumière bleutée évoque à la fois la chambre de « Madame », où les fameuses « bonnes » jouent à singer leur maîtresse en se fardant et en se parant, et une chambre mortuaire à l’atmosphère suffocante.

L’interprétation d’Elizabeth Mazev et de Stéphanie Pasquet, les sœurs interchangeables (qui est Claire ? qui est Solange ?) qui jouent tour à tour la « maîtresse » ou leur propre rôle est de haut vol. Parfois pitoyables, tremblantes et soumises comme des petites filles à leur sort, puis révoltées, envieuses, méchantes et prêtes à tout pour sortir de leur cage dorée, elles incarnent avec brio toutes les facettes des « dominées ».

Cette mise en avant de l’imaginaire des deux sœurs, qui miment leur relation avec leur maîtresse en son absence, est l’aspect le plus réussi de la pièce. Le jeu de rôle pervers auxquelles elles se livrent met au jour les mécanismes de pouvoir à l’œuvre entre les personnages : entre les bonnes et leur maîtresse, bien sûr, mais aussi entre les deux sœurs, l’une prenant l’ascendant sur l’autre et allant jusqu’à jouer à la tuer. Les thèmes de la domination et du sadomasochisme, chers à Genet, sont omniprésents.

En revanche, lorsqu’apparaît (enfin) Madame, la pièce change de ton et bascule dans la farce. Un choix plutôt risqué, puisque le rôle est tenu par Yuming Hey, comédien fétiche de Mathieu Touzé et représentant de la communauté queer, qui joue une bourgeoise actuelle très archétypale : fardée et maquillée à outrance, se déhanchant sur de très hauts talons, dans des tenues clinquantes. Malgré sa présence indéniable, on peine à voir autre chose dans son personnage qu’une caricature face à ceux des deux bonnes, à la réalité plus riche et plus complexe.

Tous ces partis pris, pour audacieux soient-ils, nuisent à la cohérence globale de la pièce, éparpillant l’attention du spectateur. Reste l’essence du texte de Genet, qui décrit une fascinante expérience d’enfermement mental et de repli sur soi pouvant déboucher sur les pires extrêmes. Un sujet, hélas, toujours d’actualité.

Le billet de Véronique

LES BONNES
Théâtre 14
20, avenue Marc-Sangnier
75014 Paris

Jusqu’au 21 mars 2024

Crédits photo :  Christophe Raynaud de Lage

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