LES GRATITUDES – THÉÂTRE DU PETIT-SAINT-MARTIN

♥♥♥♥ Quoi de pire pour une femme de mots que de sentir, avec l’âge, que ceux-ci lui échappent, qu’elle n’arrive plus à formuler sa pensée comme elle le souhaiterait ? C’est la terrible réalité – l’aphasie – à laquelle est confrontée Michka, ancienne parolière, que cette situation plonge dans le désarroi et la peur de rester seule. Voilà pourquoi elle vient solliciter une place dans un établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad). Dans ce monde impitoyable qui « accueille » des personnes âgées, très âgées et du « quatrième âge », comme les qualifie non sans humour Michka, elle se heurte à un quotidien marqué par des rituels immuables et, surtout, le manque de liberté.

Fabien Gorgeart s’empare du roman éponyme de Delphine de Vigan et en tire une adaptation tout en finesse qui aborde le grand âge, l’apprentissage de la perte, la fin de vie, mais aussi le sentiment d’abandon et de solitude qui les accompagne et la nécessité d’exprimer notre reconnaissance envers ceux qui nous ont aidés. Même si ces thèmes ne sont pas tous aussi aboutis les uns que les autres, ils apparaissent en filigrane dans les relations qui vont se nouer entre Michka, cette femme en bout de course, Marie, une jeune voisine dont elle a toujours été très proche, et Jérôme, son orthophoniste. Des relations semblables à celles d’une famille d’adoption. Marie et Jérôme vont l’aider à essayer d’accomplir son vœu le plus cher : retrouver le couple qui l’a sauvée de la déportation alors qu’elle était enfant.

ENTRE RIRE ET ÉMOTION
Sans aucun artifice, par la seule force de son jeu, Catherine Hiegel nous touche, nous émeut, nous fait sourire, en un mot, nous bouleverse. L’immense comédienne, à laquelle ses deux acolytes (Laure Blatter et Pascal Sangla, comédien et musicien) donnent la réplique avec une grande justesse, déploie toute la gamme des émotions humaines dans ce rôle d’une femme qui perd ses moyens. Les mots se bousculent dans sa bouche, se mélangent, créant de drôles de lapsus – elle est « en cloche », je vais mettre « ma colère », je suis « d’abord », « merdi » beaucoup –, et nous entraînant à la lisière de la comédie et de la tragédie.

Dans une mise en scène très sobre, des jeux de lumière subtils installent les changements d’atmosphère. L’accompagnement musical de Pascal Sangla apporte une note de légèreté bienvenue à ce sujet grave, permettant de mettre en chanson ce qui est difficile à formuler. Et lorsque Michka se prend au jeu du chant, lors d’une séance de travail avec Jérôme, la comédienne fait ressortir toute la fragilité et l’humanité de son personnage.

Courez voir cette pièce qui nous incite à réfléchir, sans pathos, sur un sujet de société ô combien important, celui du grand âge. Alors encore toute notre « merditude », Mme Hiegel, pour ce beau moment passé en votre compagnie…

Le billet de Véronique

LES GRATITUDES
Théâtre du petit Saint-Martin
17, rue René-Boulanger, 75010 Paris
Jusqu’au 27 avril 2025
Du mercredi au samedi à 19 h
Durée : 1 h 20

Crédits photo : Jean-Louis Fernandez

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