♥♥♥♥ Les suppliques désignent les centaines de lettres envoyées par des familles juives aux autorités de Vichy, le maréchal Pétain en tête, entre 1941 et 1944, pour échapper aux persécutions ou obtenir des informations sur des proches disparus. Certains prennent la plume pour éviter telle ou telle interdiction. D’autres espèrent que leur proche arrêté ou déporté pourra échapper à un sort qu’ils ne connaissent pas précisément mais qu’ils rattachent à un péril extrêmement angoissant. Ce faisant, beaucoup signent leur arrêt de mort en livrant leur identité et leur adresse.
Le Birgit Ensemble – à partir des lettres de Édith Schleifer, Gaston Lévy, Renée Haguenauer, Alice Grunebaum, Léon Kacenelenbogen et Charlotte Lewin – met en lumière autant l’imaginaire des victimes (le sentiment d’injustice de leurs auteurs qu’ils espèrent voir réparé, eux qui continuent d’avoir foi en l’État français) que la logique, hypocrite et délétère, du gouvernement de Vichy dont les réponses de l’administration sont systématiquement laconiques et sans appel : le Commissariat général aux questions juives dit devoir s’en remettre aux forces occupantes.
Créatrices d’un théâtre documenté qui mêle les récits politique, historique et intime, Julie Bertin et Jade Herbulot, metteuses en scène, transposent sur scène six de ces lettres. Elles tissent archives et fiction, dialogues et gestes, pour recréer le paysage historique de ces instantanés de vie, et rendre corps et voix à ces disparus. Du factuel et du vécu sans pathos pour enseigner un pan noir de notre Histoire, quoi de mieux ?
Le dispositif scénographique traduit admirablement bien l’enfermement des familles, observées et scrutées de toute part. Quatre interprètes – Salomé Ayache, Marie Bunel, Pascal Cesari, Vincent Winterhalter – redonnent vie et dignité à six familles aux destins brisés avec une sobriété talentueuse.
Les suppliques constituent un matériau exceptionnel sur les drames de la Shoah en France, plus encore un témoignage bouleversant sur une part de notre héritage français, et surtout un antidote à tous les discours de haine d’aujourd’hui. À découvrir absolument par tous, quels que soient nos origines, nos croyances ou nos modes de vie, pour que plus jamais nul ne reste silencieux et laisse faire à l’autre ce qui est inimaginable pour soi et les siens. Qui tue au nom d’une idéologie tue l’humanité toute entière.
Le regard d’Isabelle
Au Théâtre de la Tempête
- Cartoucherie
Route du Champ-de-Manœuvre, 75012 Paris
Du 31 janvier au 16 février 2025
Du mardi au samedi à 20 h, le dimanche à 16 h, relâche le lundi
Tournée 2025
12 et 13 mars 2025 : ZEF – Scène nationale de Marseille
18 et 19 mars 2025 : Théâtre+Cinéma – Scène nationale de Narbonne
26 et 27 mars 2025 : Théâtre de Sartrouville – CDN
23 au 26 avril 2025 : Les Quinconces-Espal – Scène nationale du Mans
14 et 15 mai 2025 : L’Azimut, Antony
Durée : 1 h 45
Crédit photos : Simon Gosselin
COUP DE THÉÂTRE 