D’AUTRES JOURS VIENDRONT – THÉÂTRE EL DUENDE

♥♥♥ Le 11 septembre 1973, un coup d’État renverse le gouvernement d’Allende au Chili, marquant le début d’une ère de dictature sous le régime de Pinochet. Cette période sombre de l’histoire chilienne fait des milliers de disparus, de prisonniers politiques, de morts et d’exilés. D’autres jours viendront narre l’exil politique d’Anita Vallejo (musicienne et comédienne, cofondatrice du Théâtre Aleph, compagnie de théâtre émergente de création collective incontournable au Chili et du Théâtre El Duende en France à Ivry-sur-Seine) et de sa famille.

Le 24 novembre 1974, soit un an après le coup d’état, la vie d’Anita Vallejo bascule lorsque la police politique sonne à la porte de la maison familiale pour arrêter Oscar Castro, le père de ses enfants. S’en suivront l’arrestation et la disparition d’autres membres de sa famille puis l’exil forcé en 1976 vers la France. Au cœur de cette tragédie, le théâtre.

En novembre 2024, soit 50 ans après, Anita Vallejo raconte à sa petite-fille Alma, sa version de l’exil, ses souvenirs, ses émotions et les défis qu’elle a dû surmonter avec son époux. « L’important ce soir, ce n’est pas que tu te souviennes parfaitement de tout. L’important, c’est que tu nous racontes et ainsi, faire mémoire. » Au fil de leur échange, les souvenirs jaillissent. Ce récit personnel, empreint de courage et de résilience, est le fil conducteur du spectacle.

« Dans l’exercice de remémoration de l’histoire de ma propre famille, j’ai dû plonger dans un passé longtemps occulté par des souvenirs fragmentés, des conversations inachevées et des photographies capturant une vérité jusqu’alors insaisissable. Parmi les photos de cette époque, il y en a une qui a déclenché le début de cette création : celle de notre exil vers la France. Sur cette photo, nous montons l’escalier qui mène à l’avion : mes parents Oscar et Anita, mon frère, Sebastian et moi. L’expression sur le visage de ma mère est frappante ; son émotion est palpable mais retenue. Je plonge dans cette émotion et je l’interroge : « Que ressentais-tu ? À quoi pensais-tu à ce moment précis ? Raconte-moi, encore une fois, notre histoire. » Je l’écoute avec intensité pour graver chaque détail en moi et, cette fois, ma fille est là, aussi. Elle écoute, elle enregistre notre conversation. Je perçois l’importance capitale de ce passage de témoin et je ne peux m’empêcher de songer à la manière dont la troupe du Duende pourrait incarner ce récit. » (Andrea Castro Vallejo) Et c’est ainsi que la troupe El Duende reprend les rôles de la troupe Aleph d’autrefois.

En fond de scène, un écran accompagne le récit d’Anita de projections : photos, vidéos, documents d’archives historiques se mêlent avec l’histoire de sa famille confrontée à l’horreur du coup d’État. Quant à la scénographie, elle se partage entre trois espaces distincts. Au centre du plateau, baigné dans une lumière aux dominantes froides, l’espace de l’entretien. Alma, la petite-fille à un bureau est en face-à-face avec sa grand-mère Anita à un piano. Leur proximité comme leur complicité accentuent la nécessité de transmission entre les générations.

Les espaces salon et salle à manger représentent l’intérieur de la maison Vaticano au Chili. Son esthétique est empreinte des années 70 avec les couleurs chaudes de l’Amérique latine. Dans une mise en scène sobre d’Andrea Castro, s’y déplacent avec un grand naturel huit comédiens reflétant la spontanéité du quotidien. De part et d’autre du plateau, tels des membres de la famille ou des amis de passage, six musiciens partagent et accompagnent les peines et les joies. La musique soutient le récit, le geste et l’image vidéo d’époque. « Lorsque la parole ne suffit plus à exprimer l’innommable expérience de la prison et de la torture, le son harmonisé du piano, de la guitare, de la flûte, du trombone, de la trompette, de la contrebasse et des percussions inonde l’espace scénique. Ici, le silence devient aussi musique. » On peut regretter que l’espace réservé au jeu qui se cantonne aux deux côtés de la scène soit relativement étriqué au vu des 14 comédiens et musiciens qui évoluent.

D’autres jours viendront, entre théâtre documentaire et spectacle musical, résonne dans notre actualité : « Une famille chilienne qui fuit son pays en 1973, c’est l’écho des familles qui fuient leur pays en guerre aujourd’hui. » Ce spectacle raconte une page de l’histoire du Chili et le ressenti de l’exil politique en France par une famille et sa descendance tout en invitant à la réflexion sur les traumatismes transmis au fil des générations et sur le rôle de l’art et de la culture dans le processus de guérison. A découvrir pour faire devoir de mémoire.

Le regard d’Isabelle

Théâtre El Duende 
23, rue Hoche – Ivry-sur-Seine (94)
Métro Ligne 7 – Mairie D’Ivry 
Du 28 novembre au 15 décembre 2024
Les jeudis, vendredis, samedis 20 h 30, dimanches 17 h 30 
Scolaires : les 28, 29 novembre, 3 et 5 décembre 14 h 
Durée : 1 h 25

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