FESTIVAL OFF AVIGNON 2024 – VIVE – THÉÂTRE DU TRAIN BLEU (vu à l’Atelier de la Comédie de Reims)

♥♥ Un jour, alors que la petite Anaïs Lacascade récite fièrement des vers de La Fontaine appris par cœur, son père pose pour la première fois la main sur elle. Vingt ans plus tard, devenue elle-même une jeune cheffe prometteuse, elle accuse Louis Lacascade, brillant représentant de la gastronomie étoilée, de l’avoir abusée sexuellement de ses 7 à 14 ans.

Tout au long d’un procès-fleuve, relayé par son avocat au verbe flamboyant et engagé, elle raconte. Au gré des témoignages de son entourage – famille, proviseure, psychiatre… –, on plonge dans l’enfance et l’adolescence d’Anaïs.

Un complexe engrenage se tisse autour de la jeune Anaïs : en grandissant, elle devient l’élue de son père en cuisine, il lui transmet son savoir-faire tout en étendant sur elle son emprise. Alors la passion pour la cuisine et l’amour familial se fondent dans les violences, indissociables. Anaïs se retrouve peu à peu isolée, coupée de ses figures refuges : sa mère, son grand-père pâtissier, la proviseure de son lycée…. Elle, qui aimait tant réciter de la poésie, devient mutique et agressive.

Qui peut deviner le secret qu’elle porte ? Comment l’inceste est-il scellé par le silence ? Comment Anaïs en vient elle-même à oublier ce qu’elle a subi, ne pouvant plus en témoigner ?

Le récit choral en cour d’assises permet d’interroger ce duel entre le silence et la parole. Le chemin sera long et difficile : Anaïs découvre que les non-dits contre lesquels elle se bat sont un héritage, que des blessures sont transmises de génération en génération. Il lui faut démanteler l’omerta qui structure sa famille entière. Pour elle, qui était si vive et prolixe, reprendre la parole devient une question de vie ou de mort.

« Différents cercles de silence enserrent la victime : celui formé par l’agresseur, qui enferme dans sa domination ; ensuite l’entourage ; et au-delà toute la société. L’inceste est un crime de masse : le tabou n’est pas de le faire, mais de le dire. Les victimes sont assignées au secret, un secret qui se transmet de génération en génération. […] Il faut parfois des décennies pour sortir de cette prison du silence : Vive retrace ce parcours du combattant, les différentes strates de non-dits et d’oubli qu’Anaïs doit percer. […] En racontant une histoire d’inceste inscrite dans une plus longue histoire des rapports de domination, il s’agit de contribuer à informer, toucher, voire armer les publics et particulièrement les jeunes, à qui ce texte est destiné. […] Vive célèbre le pouvoir de la parole », confie l’auteure Joséphine Chaffin.

Pour cela, quatre interprètes (Clément Carabédian, Estelle Clément-Béalem, Hermine Dos Santos et Patrick Palmero) endossent chacun plusieurs rôles dans un espace scénique quadrifrontal et épuré. La bande son et la musique font le décor. Accessoires et costumes font les personnages de la vie intime d’Anaïs.

Documentaire, factuel, engagé, Vive est nécessaire pour parler de l’inceste et de la volonté de le vaincre. Les chiffres rappelés lors du procès sont glaçants. Ce spectacle s’inscrit dans beaucoup d’autres actuels abordant les violences conjugales, les féminicides, les viols… La mise en scène comme l’écriture (avec ses longueurs et ses redites) sont sobres et peu novatrices. Elles ont le mérite d’être pédagogiques à l’intention des collégiens et lycéens, objectif avoué de l’auteure. Mais cela fait-il de Vive un texte pour une scène théâtrale tout public ?

Le regard d’Isabelle

2024

  • Du 27 au 31 mai : Scène Nationale de Mâcon, hors-les-murs (collèges)
  • Le 21 ou 22 juin : Prix Incandescences – TNP / Les Célestins
  • Du 3 au 21 juillet : Théâtre du Train Bleu, Festival Avignon Off

Pour tout public et public ado à partir de 13 ans.

Durée : 1 h 30

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