
♥♥ À partir d’entretiens recueillis au centre d’éthique clinique de l’Hôpital Cochin (Paris) et dans des services de soins intensifs et de réanimation, la Compagnie Babel a créé un spectacle autour de la fin de vie. Se voulant être le passeur des paroles recueillies auprès des équipes médicales et soignantes, des patients et des proches, elle met volontairement de côté fantasmes, préjugés et lieux communs entretenus depuis la nuit des temps autour de la mort.
Ce sujet universel, souvent polémique, toujours tabou, est incontestablement délicat à aborder. Pourtant, À la vie ! le prend à bras le corps, invitant le public à la réflexion car la fin de vie ne concerne pas le destin individuel de chaque individu mais la société toute entière. Voilà une action aussi empathique que courageuse qui mérite d’être soutenue car elle bouscule autant nos sentiments, nos croyances que tout ce qui fait notre humanité.
La première partie nous a laissé de bois : des comédiens jouent leur propre mort imaginée pour endosser ensuite les grands rôles du répertoire théâtral afin de jouer à mourir et à mourir encore et encore agonies naturelles, suicides et meurtres. Le répertoire déploie toute la gamme des possibles pour passer l’arme à gauche en des styles divers. Tous les auteurs ou presque s’y sont frottés et trop nombreux sont passés en revue : Racine, Molière, Eschyle, Victor Hugo, Shakespeare, Tchekhov, etc. Désolée de ne pas tous les nommer. Quel est l’intérêt de ce déferlement de Maccabées sur la scène ? Quel est le lien avec la fin de vie dans les établissements hospitaliers ? On espère une suite plus adéquate avec le sujet annoncé.
Bien heureusement, elle a été pleinement à la hauteur de nos attentes : ouverture sur le quotidien d’un service hospitalier où les existences de patients et de proches se croisent, s’entrecroisent, s’entrechoquent parfois. Les dialogues échangés avec les équipes sont si criants de réalisme qu’ils interpellent notre conscience. Si tout patient est à priori libre de choisir sa mort, la réalité est plus complexe : faut-il sauver chacun à tout prix au risque de frôler l’acharnement thérapeutique ? Est-ce si aisé d’accepter d’accompagner l’autre à mourir lorsqu’on se retrouve face à celui qui supplie l’obtention d’une aide assistée pour se suicider ou suicider l’être aimé souffrant ? Ces questions et bien d’autres sont habilement posées, des réponses sont apportées mais liberté est laissée à chacun pour prendre position.
Suit une immersion dans l’actualité en mettant en jeu des bandes son, des enregistrements de débats au Sénat en mars et à l’Assemblée nationale en avril 2021, d’abord au sein des commissions des affaires sociales puis en assemblées plénières. L’enjeu : le vote d’une proposition de loi légalisant sous conditions l’euthanasie et le suicide assisté. En vrac, nous sont livrés opinions et arguments des députés et des sénateurs en faveur ou en défaveur de la loi. Si on mesure la vivacité du conflit en jeu et l’immaturité de notre société à faire le grand pas vers l’accompagnement du suicide assisté comme l’ont déjà fait la Belgique ou la Suisse par exemple, on reste totalement abasourdi par ce déferlement de paroles sans doute par un manque de recul proposé par la Compagnie Babel. Quant au dernier tableau mettant en scène la toilette mortuaire au temps des Romains, nous sommes toujours en recherche de son rapport avec la mort en milieu hospitalier.
À la vie ! entremêle scènes du répertoire et scènes en milieu hospitalier. Dommage que ce spectacle ne se soit pas cantonné à nous rapporter des tranches de vie et de mort de patients comme des paroles de proches et de soignants dans les services de soins. Cette partie interprétée avec justesse et empathie par Justine Bachelet, Solenne Keravis, Emmanuel Matte, Juliette Plumecocq-Mech, Charles Zévaco et mise en scène avec efficience par Élise Chatauret, était certainement la plus captivante. Elle touche de si près la réalité du terrain qu’elle aurait largement suffit à inviter chacun à s’interroger sur ses propres choix autour de sa mort. Mais est-on toujours en capacité d’en choisir le moment, le lieu et les circonstances ? Là est la véritable interrogation. Il aurait suffit que cette partie soit enrichie de nouvelles situations pour en faire un spectacle d’intérêt public.
Le regard d’Isabelle
Théâtre de Malakoff scène nationale, 3 place du 11 novembre – Malakoff
Les mardi 9 et mercredi 10 novembre 2021 à 20h
Une rencontre est prévue avec l’équipe artistique à l’issue des représentations.
TOURNÉE:
30/11- 04/12/2021 : MC2 Grenoble, Scène nationale
06/01- 16/01/2022 : Théâtre des Quartiers d’Ivry, CDN du Val-de-Marne
12/04 – 15/04/2022 : Théâtre Dijon Bourgogne, CDN
22/03 – 22/03/2022 : Théâtre de Chelles29/03
29/03/2022 : Verdun – Transversales
12/04 – 15/04/2022 : Théâtre Dijon Bourgogne, Centre Dramatique National