DOLORES – THÉÂTRE ACTUEL LA BRUYÈRE

♥♥♥♥(♥)  À 87 ans, Sylvin Rubinstein revient pour la première fois à l’Adria, célèbre cabaret où, en 1933, il a fait ses débuts aux côtés de sa sœur jumelle Maria. Il est tard, et Joseph, le serveur du lieu, passe un dernier coup de balai en prêtant une oreille – de plus en plus attentive – à Sylvin, qui a la nostalgie bavarde. Le vieil homme n’est guère loquace habituellement, mais ce soir tout est différent : le lieu le bouleverse, et la bienveillance du serveur le conforte. Il se lance et, pour la première fois de sa longue existence, il va raconter son destin hors du commun : sa carrière de danseur de flamenco fauchée au sommet de sa gloire, son amour brisé pour sa sœur jumelle et vénérée Maria, ses traumatismes, ses blessures et sa rage, le réseau de résistance qu’il rejoint et au sein duquel il s’illustre de façon exemplaire, avec parfois des habits de femme, sa folle danse sur le toit de l’hôpital lorsque Berlin est enseveli sous les bombes. Une histoire extravagante inspirée du propre récit de Sylvin Rubinstein…

La tourmente de l’histoire transforme parfois de simples quidams en héros. C’est ainsi que Sylvin Rubinstein, qui n’attendait de la vie que de danser éternellement le flamenco avec sa sœur jumelle Maria, entre dans la résistance contre les nazis. Après plusieurs mois passés dans le ghetto de Varsovie et suite à la déportation de sa sœur, il s’allie au major Kurt Werner, officier de la Wehrmacht et résistant, afin de mener à bien des actions de plus en plus dangereuses. Il va jusqu’à faire sauter une brasserie fréquentée par les nazis, mais il le fait sous les traits et en tenue de Dolores, son alter ego gémellaire, qui redonne vie momentanément à sa sœur tant aimée. Sa quête vengeresse culmine à Berlin dans les semaines qui précèdent la fin de la guerre : le jour, il tue des officiers et, la nuit tombée, il monte sur les toits pour danser un flamenco hallucinatoire sous un ciel d’où pleuvent les bombes des Alliés. Ce n’est qu’au soir de sa vie que Sylvin Rubinstein lèvera le voile sur son prodigieux destin, de peur que le souvenir de Maria s’éteigne en même temps que lui.

Sylvin Rubinstein a confié son extraordinaire histoire de vengeance au journaliste allemand Kuno Kruse, ancien reporter au magazine Stern, au cours de longues nuits blanches passées à converser au milieu du bric-à-brac de son vieil appartement. Cette histoire aux multiples rebondissements est presque trop romanesque pour être véridique. Et pourtant, d’un bout à l’autre, elle l’est !  

Entre un décor volontairement très épuré et une bande-son très présente, Virginie Lemoine met en scène magnifiquement et néanmoins avec beaucoup de sobriété Dolores. Le texte de Yann Guillon et de Stéphane Laporte est criant de réalisme sans pathos, avec des teintes d’humour et de jolis moments d’émotion. L’interprétation d’Olivier Sitruk est magistrale, qu’il soit Sylvin Rubinstein à 25 ou 87 ans. François Feroleto et Joséphine Thoby sont tout aussi talentueux.  La musique (Cristo Cortes et Dani Barba toujours en live) comme le flamenco (Sharon Sultan et Ruben Molina) tiennent naturellement une place essentielle dans le récit. Qu’ils chantent, dansent ou jouent d’un instrument, ce sont des virtuoses.  

Dolores. Un véritable chef-d’œuvre théâtral. Un incontournable du Festival off 2023. Sans aucun doute, il sera couronné par quelques Molière après de belles saisons parisiennes.

Le regard d’Isabelle

DOLORES

THÉÂTRE ACTUEL LA BRUYÈRE
5, rue La Bruyère, 75009
Paris
À partir du 29 août 2025

Photos Frédérique Toulet

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