
♥♥ Deux afro-descendants français s’emparent de la grande Histoire pour croiser leurs parcours personnels et questionner les discours dominants sur la colonisation, la double appartenance et la « question noire » à la française. Au fil de lettres, dessins ou objets exhumés de cartons entreposés dans une cave dans laquelle ils se trouvent accidentellement enfermés, ils se remémorent les souvenirs de leur enfance en banlieue parisienne, les échos familiaux, la convocation des ancêtres… Peu à peu se révèle la réalité du métissage de l’un et du singulier statut de « Français » de l’autre dans sa fratrie africaine, des réalités qui à la fois bousculent et irriguent leur vie actuelle.
Par le récit, la musique et les images, Lamine Diagne et Raymond Dikoumé (auteurs et comédiens) connectent leur parcours personnel, questionnent leurs racines africaines pour mieux prendre conscience des héritages de l’histoire de la colonisation qui trouvent leur prolongement dans la diversité de notre pays.
Françé est un dialogue entre une civilisation traditionnelle millénaire et la toute-puissance de l’Europe coloniale, l’assignation à l’assimilation, la signification d’être Français sans oublier les non-dits familiaux et historiques dans lesquels l’un et l’autre ont grandi. Le discours insiste sur l’inconfort et la fragilité de leur situation d’hier comme d’aujourd’hui, la transformation des identités collectives découlant de la diversité des origines de la population. « Fabriquer des récits en commun relève de la responsabilité de notre génération. […] Le sujet de la colonisation a besoin d’être ouvert comme un paquet de riz emballé dans du papier journal : précautionneusement, en essayant d’en saisir le moindre grain. Personne n’est coupable d’un crime qu’il n’a pas commis lui-même, mais de part et d’autre demeurent les victimes de l’ignorance, il nous faut ouvrir nos héritages, les partager au grand jour, comprendre et défaire les croyances obsolètes. » (Lamine Diagne)
Françé « a pour but d’explorer la question afro-descendante de façon intime, et d’explorer notre héritage. De questionner la colonisation et ses dérives qui sont la source majeure des problèmes géo et socio-politiques qui animent le débat public aujourd’hui. […] à partir de notre histoire, nos familles et leurs constructions, le passage d’un continent à l’autre, d’une culture à l’autre. Ce qu’on y perd, ce qu’on y gagne… » (Raymond Dikoumé)
De nos jours, les vieux souvenirs se rangent dans des cartons. Aussi, la scène est jonchée d’une multitude de cartons de tailles diverses. Ils seront manipulés, ouverts, assemblés, désassemblés. Ils serviront de support pour la projection d’extraits de films d’époque (on regrette de ne pas mieux les voir lorsqu’on est placé dans les derniers rangs car on ne peut comprendre comment ils accompagnent le propos). D’autres en seront exhumés des lettres, des dessins et des objets qui rallumeront dans leur mémoire les images, les odeurs comme les visages du passé.
Les comédiens déambulent pour raconter l’un et l’autre leur histoire et celle de leurs ancêtres, leur culture et leurs croyances. Leurs échanges sont intéressants (pas toujours audibles), leur fragmentation, choix de mise en scène, casse le rythme de leur déroulé. On en sort perplexe, on reste sur notre faim. Dommage, les thématiques de Francé, rarement abordées sur une scène théâtrale, sont d’un grand intérêt pour la connaissance de l’Histoire pour tous et la mémoire de chacun.
Le regard d’Isabelle
En tournée en 2025
Festival d’Avignon – Théâtre des Halles (84) du 5 au 26 JUILLET 2025 à 11h



© Éric Massua