ANTOINE ET CLÉOPÂTRE – THÉÂTRE DE LA BASTILLE

♥♥♥L’actuel directeur du festival d’Avignon, Tiago Rodrigues, est revenu présenter au théâtre de la Bastille, son port d’attache parisien, Antoine et Cléopâtre, l’une des pièces emblématiques de son répertoire. Créée en 2014, la proposition est un récit singulier, un moment de théâtre totalement suspendu, puissant, parfois déroutant. Mais d’une infinie séduction.

Sur le plateau quasi nu, seulement agrémenté de miroirs mobiles instables et constamment en mouvement, inspirés d’Alexandre Calder, d’un petit banc en bois, d’un tourne-disque, deux comédiens chorégraphes, Sofia Diaz et Vitor Roriz, nous donnent à voir et à entendre l’histoire d’amour tragique d’Antoine et Cléopâtre, le couple d’amants légendaire qui inspira Shakespeare, puis le réalisateur Mankiewicz avec le couple Taylor-Burton.

Le sujet aurait pu faire l’objet d’une nouvelle et « simple » revisite historique, mais Tiago Rodrigues choisit une autre voie, une autre forme de narration. Celle de la non-rencontre et d’une mise en abyme parallèle des deux protagonistes pour mieux ancrer le récit. Sofia et Vitor, dans un français impeccable, ne s’adressent pas directement l’un à l’autre et ne se toucheront jamais. Ils sont « un duo qui parle d’un autre duo racontant sans cesse d’invisibles Antoine et Cléopâtre », explique T. Rodrigues. Sofia parle obsessionnellement d’un Antoine, et Vitor parle obsessionnellement d’une Cléopâtre, se décrivant réciproquement avec la même minutie, détaillant chaque fait et geste de l’un ou de l’autre. À travers leur dialogue indirect à la troisième personne (Antoine ditCléopâtre dit…) et leurs chorégraphies corporelles fluides et douces, le duo prend vie, le récit se tisse, l’imaginaire se nourrit et l’on suit les étapes marquantes d’un amour condamné à sa perte : la rencontre, la séduction, l’amour fou, la trahison, le déshonneur, la guerre, la mort.

La forme transgressive de la pièce – ni dialogue direct, ni contact physique – permet paradoxalement d’unir les comédiens dans une totale symbiose, explorant tour à tour des teintes dramatiques variées, du funeste à la passion, de la tension à la légèreté (séquence du passage de syllabes formant une chaîne de mots) pour construire un récit fort, poétique, épique. Un langage théâtral unique en son genre, une dramaturgie étonnamment vivante.

Signé Elisabeth

ANTOINE ET CLÉOPÂTRE

Ce spectacle a été à l’affiche du théâtre de la Bastille, du 27 février au 14 mars 2025.
Crédits photo : Magda Bizarro

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