LE PROCÈS DE JEANNE – LES BOUFFES DU NORD

♥♥♥♥ Immense bonheur de spectatrice hier soir aux Bouffes du Nord, privilégiée d’assister au Procès de Jeanne, pièce qui retrace, au plus près de la réalité historique, le procès de Jeanne d’Arc et de sa condamnation à mort. Un moment de théâtre unique, aussi profond dans le fond qu’envoûtant sur la forme. L’interprétation magistrale de Judith Chemla, dans le rôle-titre, fera date. Force, grâce, intelligence, émotion : une réussite totale.  

Un grand plateau en bois octogonal, un tabouret central, une rangée de musiciens tapis dans l’ombre en fond de scène, et une silhouette mince apparaît. Elle se retourne doucement, et tous les regards convergent vers elle. C’est Jeanne, avec son « habit d’homme », son regard fiévreux, son corps meurtri. Elle a 19 ans, elle raconte d’où elle vient. Très tôt, des voix lui ont parlé, lui ont confié sa mission sur Terre, et elle s’y est vouée de tout son corps, de toute son âme. Mais les confidences s’arrêtent vite. Devant nous, elle est prisonnière, elle fait face maintenant à ses juges, ces hommes d’Église puissants, autoritaires, impitoyables, qui décideront si elle doit vivre ou mourir. Ils n’auront de cesse de lui faire abjurer son péché, de lui faire reconnaître les représentants de l’Église sur Terre. Elle, butée, torturée, incandescente, répondra point par point, défendant bec et ongles, ses choix, son chemin, ses luttes, ses combats. Il suffirait d’abjurer pour sauver sa vie mais elle ne le fera point. Ils la condamneront pour hérésie et l’enverront au bûcher.

Un spectacle d’une beauté absolue ! Beauté du texte d’abord, authentique, extrait des archives historiques qui retracent minute par minute le procès de Jeanne d’Arc à Rouen, le 14 mai 1431. Les joutes verbales, d’une rare intensité, entre Jeanne et ses juges, résonnent avec force (autoritarisme religieux, domination masculine, place de la femme…) et nous dévoilent en creux l’intime sensoriel, intellectuel, émotionnel de cette femme du bas Moyen-Âge, icône de légende qui a laissé derrière elle de nombreuses zones d’ombre. Le dispositif scénique ensuite, hybride, conjugue avec bonheur théâtre, musique et vidéos (les juges apparaissent via des séquences filmées et diffusées sur grand écran). Tout est à l’économie, intelligent et intensément précis : chaque geste fait sens, chaque mot pèse, chaque regard fait foi, rien ne parasite, rien ne disperse. Et si l’on connaît l’issue, on espère encore la délivrance, happé par l’aplomb et l’obstination féroce de Jeanne à se défendre. Quand les doutes s’installent, Jeanne/Judith, soprano de premier plan, chante avec une grâce infinie, tandis que le plateau, entre ombre et lumière, nous plonge dans les affres et les ténèbres de son âme. L’interprétation, ultraprécise, tout en nuances, est exceptionnelle. Bien sûr, Judith Chemla, puissamment habitée par son personnage, mélange de spontanéité sauvage, d’incandescence fiévreuse, d’obstination quasi pathologique, excelle dans le rôle-titre et porte le spectacle avec une présence unique. Face à elle, les juges, emmenés par Jacques Bonnaffé (l’évêque de Beauvais) et Jean-Claude Drouot (Jean Baupère, chanoine de Rouen) sont tout autant inspirés et convaincants dans leurs interrogatoires sombres et intraitables. Du grand et du très beau théâtre, la plus belle pièce de ce début d’année.

Signé Elisabeth

LE PROCÈS DE JEANNE

Les Bouffes du Nord – 37 bis, boulevard de la Chapelle, 75018 Paris.
Jusqu’au 16 février 2025

Crédit photos : Guy Delahaye

Laisser un commentaire