LES IDOLES – THÉÂTRE DE LA PORTE SAINT-MARTIN

♥♥♥♥ L’auteur, cinéaste et metteur en scène Christophe Honoré rend hommage à six artistes morts du sida au début des années 1990. Lui avait 20 ans et se souvient de l’importance qu’ils eurent sur lui, de leur influence et de leur impact sur sa vocation artistique. Il les convoque dans un spectacle choral, écrit en 2018, admirablement écrit et dirigé, qui replonge le spectateur dans une époque si proche et pourtant presque oubliée : les années sida et la grande faucheuse. Rappelons-nous.

Quelque part dans un no man’s land urbain, six hommes et femmes évoluent, s’interpellent, s’engueulent, débattent, se débattent, s’aiment, s’épuisent, souffrent. Ils s’appellent Jean-Luc Lagarce, Bernard-Marie Koltès, Jacques Demy, Cyril Collard, Hervé Guibert, Serge Daney. Ils étaient romanciers, dramaturges, cinéastes, ils ont tous été fauchés par le sida au tournant des années 1990, chacun dans leur « promotion » mortuaire, à l’époque où l’épidémie, mal connue, ravageait la communauté homosexuelle, paniquait les foules à la simple évocation du mot et stigmatisait ses morts.

Christophe Honoré, qui avait 20 ans en 1990, se souvient de ces figures majeures du paysage artistique français et de l’influence qu’ils eurent sur lui, sur son envie d’écrire des histoires, de réaliser des films. Ils étaient ses modèles, ses idoles. Il les ressuscite, le temps d’un spectacle choral, pour leur témoigner post-mortem sa gratitude, son admiration sans bornes, pour leur déclarer son amour infini et ne pas oublier l’absence.

À l’époque, face à la maladie, chacun adopte une attitude : aveu, déni, engagement ou repli sur soi, et Christophe Honoré de questionner la souffrance, l’intolérance, le deuil, l’ultra-intime, en n’omettant pas les interrogations et les zones d’ombre des uns et des autres : fallait-il taire son homosexualité ? Fallait-il taire la maladie ? Fallait-il fermer les yeux sur des comportements irresponsables (comme Cyril Collard condamné après son décès sur ses pratiques sexuelles à risque) ? Le spectacle charrie tout ce qu’il faut d’intelligence et d’émotion sur ces sujets, avec en point d’orgue le bouleversant monologue de Marina Foïs/Hervé Guibert décrivant la maladie, la lente agonie et la mort de Musil (le philosophe Michel Foucault).

Mais comme toujours avec Christophe Honoré, on rit souvent des punchlines, des facéties (chorégraphie déjantée de Jacques Démy /Marlène Saldana, intervention cocasse de Liz Taylor) et on savoure la distance en contrepoint qu’il sait si bien prendre avec son sujet. La mise en scène, ultrafluide, file comme un long verre d’eau qui coule, une chorégraphie commune, à la fois individuelle et collective qui n’a ni entrée, ni sortie, mais déroule une tranche de vie concentrée. Un « objet théâtral », ultravivant, qui rappellera « Le Ciel de Nantes » porté par un casting cinq étoiles, pour replonger dans une époque et ne pas oublier. L’une des pièces incontournables de ce début d’année.

Signé Elisabeth   

LES IDOLES
Théâtre de la Porte Saint-Martin, 17 rue René Boulanger, 75010 Paris
Du 18 janvier au 6 avril 2025

Crédits photo : Jean-Louis Fernandez

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