
♥♥♥ Vers 1760, au café de la Régence non loin du Palais-Royal à Paris, lieu où les clients aiment à jouer aux échecs, un dialogue philosophique et pétillant, portant sur la morale, l’art, l’éducation et les mœurs, s’engage entre Denis Diderot, le fondateur de l’Encyclopédie (œuvre emblématique du siècle des Lumières), et un bohème cynique et braillard : Jean-François Rameau, neveu déchu du grand compositeur Jean-Philippe Rameau. Diderot est littéralement fasciné par ce personnage composé « De hauteur et de bassesse, de bon sens et de déraison », un être abject mais délivré de son abjection par la fierté qu’il en tire. Les deux hommes s’opposent en tout… ou presque.
Dans un décor sommaire (une table, un banc, deux chaises), la joute verbale entre ces deux tempéraments de feu que sont Diderot et Rameau est brillante, virevoltante, pétillante. De haute volée. Les deux antagonistes rivalisent d’intelligence et de malice, le sophisme de l’un répondant avec brio à la philosophie de l’autre. Il est vrai, on ne peut qu’en convenir : les dialogues signés Diderot sont étincelants tant par la forme que par le fond. Et d’une modernité époustouflante ! « L’homme est le terme unique d’où il faut partir et auquel il faut tout ramener. » Il en est toujours ainsi malgré les siècles qui nous séparent de leur rédaction.
Cette discussion à bâtons rompus, pleine d’esprit « simple, intime, touchant et romanesque », a été adaptée et mise en scène par Claude Gisbert. Il est vrai, la forme de dialogue du texte initial de Diderot prédispose à son adaptation théâtrale. Toutefois son thème comme sa longueur font qu’il est rarement joué intégralement. Aussi Claude Gisbert a-t-il choisi d’en livrer une version écourtée. Néanmoins, elle mérite toute l’attention des spectateurs pour en savourer le raisonnement des protagonistes comme leur finesse d’esprit. Quant à l’interprétation de Philippe Penguy et de Claude Gisbert, elle ne fait aucunement pâlir le talent de Diderot, ni de Rameau.
Le Neveu de Rameau, un texte pas si classique à (re)découvrir au Théâtre de l’Essaïon si on aime frotter son esprit à la philosophie comme à l’art de la rhétorique.
Le regard d’Isabelle
Théâtre de l’Essaïon
6, rue Pierre-au-Lard – 75004 Paris
Du 17 octobre au 7 décembre 2024 tous les jeudis, vendredis et samedis à 19h15
Durée : 1 h 15


