
♥♥♥♥ En pleine épidémie de peste, le duc de Vienne annonce qu’il quitte la ville et qu’il en confie les rênes à Angelo, modèle de rigueur et de vertu. En réalité, le duc demeure et se déguise en prêtre pour, incognito, observer ce qu’il advient lorsque la loi punit la moindre incartade. En effet, sur ordre d’Angelo, les théâtres, les maisons et les cabarets sont contraints de fermer : prostituées, maquereaux et rabatteurs subissent les coups de la loi ; les couples illégitimes sont condamnés à mort ou à l’exil.
Claudio, qui a mis enceinte la jeune Juliette hors mariage, est arrêté. Il demande à sa sœur et future religieuse, Isabelle, d’intercéder en sa faveur auprès d’Angelo. Le ministre vertueux la reçoit et en tombe brutalement amoureux, tant et si bien qu’il la met face à un dilemme et abuse de son pouvoir : céder sa virginité ou bien laisser mourir son frère…
William Shakespeare a écrit en 1604 la tragi-comédie Mesure pour mesure, pièce baroque. Il y entremêle plusieurs narrations qui plongent le spectateur dans les multiples strates de la société (noblesse, prostitution, clergé, justice, etc.). Diverses visions du monde et grilles de lecture s’entrechoquent, chacun se questionnant sur la juste application de la législation. Parallèlement, la position sociale inégalitaire de la femme est abordée avec une grande modernité de ton.
La multiplicité de genres, de tons et d’intrigues parallèles de la pièce a incité Léonard Matton à choisir un dispositif immersif pour sa mise en scène qui nous plonge hors du temps. Le titre Mesure pour mesure lui a donné l’idée de plusieurs plateaux, en rappel à ceux de la balance de la justice comme ceux de plusieurs scènes de jeu mises en équilibre. Ainsi, le « fléau », la tige qui relie les deux plateaux de la balance devient le trajet que les publics sont amenés à parcourir entre les différentes scènes de l’espace immersif dans lequel les personnages s’entrecroisent et où les publics sont contraints de choisir et suivre tel ou telle interprète si deux personnages se quittent et partent dans deux directions opposées… tout comme la pièce de Shakespeare qui invite à prendre parti. Le jeu talentueux des 17 artistes de la compagnie Emersion est rythmé par une musique inspirée de la Renaissance (petit bémol : elle couvre parfois les voix des comédiens).
Quel lieu patrimonial autre que le domaine national du Palais-Royal peut symboliser la magnificence du pouvoir et de la loi où se croisent toutes les couches de la société ? À chaque espace son symbole : le pouvoir et la loi à proximité du Conseil constitutionnel ; le châtiment près du Conseil d’État ; la débauche sous la galerie Valois et sur le plateau de Bury, non loin du ministère de la Culture ; la religion sous la colonnade auprès de la Comédie-Française ; les lieux publics et les rues de Vienne sur le plateau de Buren, sous la galerie de Montpensier. Le tout dans un espace estampillé par les monuments historiques, dont la grandeur architecturale et historique reste incomparable. Entre colonnades, péristyles et cour d’honneur, se dégage une atmosphère sensuelle, voire subversive, particulièrement à la tombée de la nuit.
Le Fléau, mesure pour mesure comme tout spectacle immersif a ses petits travers : le choix de suivre tel ou tel personnage vers sa destinée ne permet pas d’assister à toutes les scènes, la station debout pendant quasiment toute sa durée (parfois, on peut s’asseoir sur le rebord d’une colonne de Buren ou d’un bassin), les allées et venues d’un plateau à l’autre, la sonorisation imparfaite des voix des comédiens, l’espace de jeu occupé inopinément par une partie du public. Néanmoins, Le Fléau, mesure pour mesure reste un spectacle à découvrir dans un lieu sublime.
Le regard d’Isabelle
LE FLÉAU, MESURE POUR MESURE
Fort Saint-André de Villeneuve-lez-Avignon
Du 9 au 13 juillet 2024 à 20 h 30
En raison des thèmes de la pièce, le spectacle est déconseillé aux moins de 10 ans.



@Matthieu Camille Colin