
♥♥♥ 1923. Dans une pension familiale de Chicago (Illinois), lors d’un dîner de fête et du traditionnel kapustnik, Constantin Stanislavski et ses acteurs célèbrent le 25e anniversaire de la création de leur théâtre, le Théâtre d’Art de Moscou. Ils conversent autour des multiples facettes de l’art du théâtre, un bien essentiel de notre humanité tout en mangeant, buvant, chantant, faisant des blagues et jouant des sketchs, portant des toasts, s’embrassant sans jamais oublier leur situation fragile et précaire, et le futur qui les attend, en Russie ou en Amérique. Des périls politiques et des difficultés financières les guettent de toutes parts.
« En Union Soviétique, le théâtre d’Art de Moscou vient de traverser une période difficile. Leur répertoire constitué en partie de pièces de Tchekhov est perçu comme du théâtre bourgeois. Stanislavski, lui-même, est mal vu par le pouvoir en tant que riche propriétaire d’usines qui furent confisquées à la suite de la révolution. Ses mises en scène dépourvues de contenu politique sont considérées comme démodées. Aux États-Unis, la situation de la troupe en tournée n’est pas simple non plus. Certains voient ces acteurs étrangers avec méfiance les considérant comme des bolcheviques. En fait, leur public se compose en grande partie de Russes blancs exilés aux États-Unis pour qui ce théâtre rappelle le bon vieux temps. Mais cet accueil chaleureux par la communauté russe n’est pas sans dangers. Plus ils entretiennent de relations avec les Russes blancs, plus ils risquent d’avoir des problèmes une fois rentrés au pays. Il semble que Stanislavski ait très sérieusement envisagé d’immigrer aux États-Unis », précise l’auteur, Richard Nelson. « […] Ce sentiment de précarité vécu par les personnages de la pièce correspond à la situation actuelle de biens des troupes de théâtre en Russie aujourd’hui, même avant l’invasion de l’Ukraine. »
Notre vie dans l’art est une fiction fondée sur des faits réels conformément au sous-titre de la pièce : Conversations entre acteurs du Théâtre d’Art de Moscou pendant leur tournée à Chicago, Illinois en 1923. John Cobrin, journaliste au New York Times, a assisté à l’une des représentations de la troupe à New York : « La compagnie de Stanislavski était attendue avec une impatience fébrile. L’immense théâtre était littéralement bondé jusqu’aux portes, et il y avait un débordement dans le hall – ou plutôt, une cohue de ceux qui ne pouvaient pas obtenir de place debout. À l’intérieur se trouvaient les trois mondes – théâtral, social et russe. » Selon Richard Nelson, cette tournée historique « a eu un impact décisif sur le théâtre américain. Beaucoup d’acteurs, d’enseignants et de compagnies seront influencés par le travail d’acteur de Stanislavski ».
Selon Ariane Mnouchkine (traductrice), « cette pièce [est] d’une redoutable simplicité. Elle est tellement simple, tellement pure dans sa langue, tellement apparemment non remarquable que toute sa profondeur vous attrape par surprise. C’est-à-dire que c’est apparemment quotidien et puis, tout d’un coup, vous ne savez pas pourquoi, vous avez envie de pleurer » (Rencontre publique au Théâtre du Soleil, juin 2023). Sans doute parce que Notre vie dans l’art met en lumière toute la complexité de la nature humaine confrontée aux petits riens de la vie. Chacun participe à la préparation du repas de fête donné pour le 25e anniversaire de leur troupe. Des bribes d’histoires et de conversations se croisent et s’entrecroisent. Pas vraiment d’intrigue. Pas de conflit entre les personnages. Divers sujets sont abordés, des plus anodins (les infidélités des couples, les beuveries et les emportements des uns…) aux plus essentiels (le contexte politique en Russie comme en Amérique, les difficultés financières auxquelles sont confrontées la troupe…). La vraie vie mise en lumière avec talent par les comédiens du Théâtre du Soleil : Shaghayegh Beheshti, Duccio Bellugi-Vannuccini, Georges Bigot, Hélène Cinque, Maurice Durozier, Clémence Fougea, Judit Jancso, Agustin Letelier, Nirupama Nityanandan, Tomaz Nogueira, Arman Saribekyan. Un bémol : un sketch autour des trois sœurs sans grand intérêt, trop peu d’échanges autour du travail de l’acteur selon Stanislavski et des longueurs dans quelques scènes.
La fabuleuse aventure du Théâtre d’Art de Moscou aux États-Unis, à ne pas manquer par tous ceux qui aiment le théâtre et l’esprit de troupe.
Le regard d’Isabelle
NOTRE VIE DANS L’ART ou LA FABULEUSE AVENTURE DU THÉÂTRE D’ART DE MOSCOU
Théâtre du Soleil
La Cartoucherie – 2, route du Champ-de-Manœuvre – 75012 Paris
Jusqu’au 11 février 2024 du mercredi au vendredi à 19 h 30, samedi à 15 h, dimanche à 13 h 30.
Du 16 février au 3 mars 2024 vendredi à 19 h 30, samedi à 15 h, dimanche à 13 h 30.
Durée : 2 h 10
Jusqu’au 2 mars 2024, à l’issue des représentations de Notre vie dans l’art, tous les samedis
à 18 h, Cabaret Odessa. 5 € au lieu de 10 € pour les spectateurs de Notre vie dans l’art.




Crédit Photo : 1 et 2 : Michèle Laurent – 3 et 4 Vahid Amanpour